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Vers une équation écologique et financière favorable

Vers une équation écologique et financière favorable

Pour réduire son empreinte carbone, la construction peut s’appuyer sur la réutilisation des bâtiments comme sur celle des matériaux, mais cela nécessite le déploiement d’une filière entière et le développement de compétences nouvelles en diagnostic, déconstruction sélective et conception orientée vers la circularité.

Interview de Christina Stuart, manager de Carbone 4 Luxembourg, et Paco Vadillo, expert climat du secteur de la construction chez Carbone 4

Pourquoi s’intéresser à la construction quand on parle d’économie circulaire ?

Christina Stuart : Plus de la moitié des émissions territoriales luxembourgeoises sont liées aux transports et 20 % aux bâtiments, viennent ensuite celles de l’industrie qui alimente entre autres la construction. C’est donc un secteur extrêmement significatif en termes d’émissions. Par ailleurs, presque 90 % des résidents se chauffent avec des sources fossiles, majoritairement du gaz, et la classe énergétique moyenne des maisons unifamiliales est basse, alors que la surface par habitant est très élevée par rapport aux autres pays européens. Tout cela incite à réfléchir à une meilleure utilisation des ressources et de l’espace, à la transition vers des sources énergétiques renouvelables ou encore à l’efficacité énergétique des bâtiments.

Quel est le cadre en la matière ?

CS : L’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre est fixé à - 64 % d’ici 2030 pour le secteur de la construction au Luxembourg. Le Plan national intégré en matière d‘énergie et de climat (PNEC) prévoit des mesures, mais ces projections sont extrêmement ambitieuses et un changement radical et rapide est nécessaire pour les atteindre.

Paco Vadillo : En Europe, la principale réglementation qui joue pour la décarbonation du bâtiment est la directive sur la performance énergétique des bâtiments, elle concerne principalement les émissions liées à l’énergie d’exploitation. La prise en compte de l’empreinte carbone des matériaux de construction est plus récente.

La construction est la filière la plus génératrice de déchets, mais aussi la plus consommatrice de matière. Partant de ce constat, la France a mis en place la responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du bâtiment (REP PMCB) qui prévoit que les metteurs sur le marché (fabricants, distributeurs, etc.) prennent en charge financièrement leur traitement et leur valorisation. La France a également instauré une loi anti-gaspillage, dont certaines mesures sont spécifiques à la construction.

Au niveau européen, le paquet économie circulaire intègre la notion d’éco-conception et prévoit l’application de passeports environnementaux pour les produits, et la taxonomie introduit le sujet de l’économie circulaire comme l’un des six objectifs environnementaux fondamentaux. Du point de vue de la taxonomie, l’économie circulaire consiste notamment à dessiner le bâtiment pour en favoriser la circularité, c’est-à-dire à intégrer dans la réflexion les notions d’économie des ressources, mais aussi d’adaptabilité, de flexibilité et de démontabilité des bâtiments. Cela implique de concevoir les bâtiments de sorte à éviter la consommation de matière en amont, et de réutiliser / recycler la matière utilisée.

Sur quels leviers la construction peut-elle s’appuyer ?

PV : La réutilisation de l’existant est un point central, pas seulement la réutilisation d’éléments (portes, revêtements de sol, etc.), mais celle du produit final qu’est le bâtiment et il y a une différence fondamentale entre réemploi in situ dans la rénovation et réemploi dans le neuf d’éléments qui proviennent d’ailleurs.

Le Booster du réemploi estime qu’on peut gagner 20 à 50 kg de CO2 / m2 en faisant appel au réemploi dans le résidentiel (soit 5 % de l’empreinte carbone liée aux produits de construction), et 60 à 100 kg dans le tertiaire (soit 10 % de l’empreinte carbone).

Quelles sont les conditions au déploiement des principes de l’économie circulaire dans la construction ?

PV : C’est une question de compétences, à tous les niveaux de la chaîne de valeur, à commencer par le diagnostic de l’existant quant à son potentiel de réemploi. La data est le nerf de la guerre : si on ne sait pas ce qu’on a entre les mains, il est difficile d’agir.

En amont de la chaîne de valeur, il s’agit, pour les industriels, d’être en capacité de produire des matériaux qui pourront être déconstruits correctement.

Vient ensuite la conception, dont la circularité doit être un axe de fond. Il faut penser le bâtiment autour de cette contrainte, et non le dessiner puis chercher les éléments disponibles en réemploi pour répondre à ce qui a été imaginé a priori. Cela implique de prévoir une enveloppe financière pour les diagnostics, une potentielle assistance à maîtrise d’ouvrage et une maîtrise d’œuvre qui sache utiliser le réemploi et accepte de construire avec l’existant.

Des compétences en déconstruction sélective sont également nécessaires.

L’assurabilité est une question cruciale : réutiliser une porte coupe-feu s’avère plus complexe que réutiliser une porte non coupe-feu. Les compagnies doivent accepter d’assurer des matériaux de réemploi et y trouver leur équilibre économique.

Le cadre incitatif a son importance. Il faut passer du prisme « efficacité énergétique » qui implique de déconstruire pour remplacer par du neuf, plus performant, pour rentrer dans le cadre d’éligibilité fiscale, à une vision « carbone / préservation des ressources ».

Le dernier point est d’organiser la filière : créer des réseaux à l’échelle locale, mettre à disposition les produits, partager des compétences, etc. Le foncier peut constituer un verrou. Pour faire du réemploi à grande échelle, il faut stocker – et éventuellement reconditionner - les éléments entre le chantier où on les déconstruit et celui où on les met en œuvre. Les filières locales peuvent aider. En France, récemment, elles sont nombreuses à émerger : à Avignon, c’est une plateforme numérique de mutualisation de matériel et de main d’œuvre qui a été créée et à Bordeaux et Montpellier, des plateformes de stockage et de reconditionnement.

In fine, assurer les bonnes conditions sur l’ensemble de ces axes (émergence d’une filière organisée, pratiques partagées et cadre incitatif) permettra de trouver une équation économique favorable au réemploi.

CS : Le suivi des impacts est une condition nécessaire à la création d’une filière robuste et il faut, pour comptabiliser les émissions, une méthodologie transparente et des indicateurs qui prennent en compte l’ensemble du cycle de vie du bâtiment.

Mélanie Trélat

Extrait du Neomag#63