Petit point sur l’ « individu » incriminé et sur les facteurs de son expansion
Les scolytes (Scolytinae) sont de petits insectes faisant partie d’une famille assez large de plusieurs milliers d’espèces connues, comportant des individus dits « ravageurs » (environ 10 % sont xylophages et moins de 1 % s’attaquent à des arbres sains et vivants).
Les scolytes colonisent l’arbre par forage depuis son écorce et y développent des réseaux de galeries et de chambres aux fonctions variées (alimentation, reproduction, développement des larves, …) ; face à l’accroissement de ces réseaux, l’arbre envahi finit par dépérir, l’écorce perdant ses fonctions défensives et se détachant du tronc.
Notre hémisphère nord subit depuis plusieurs années des épisodes climatiques forts et prolongés de tempêtes, de sécheresse ou d’hivers trop doux qui favorisent le développement de ces insectes - l’Ips Typographus étant le plus agressif sous nos latitudes - et qui fragilisent les arbres (blessures, mutilations, déshydratation), arbres alors moins aptes à se défendre au travers de leurs insecticides, bactéricides et fongicides naturels.
Un processus naturel
Cette action n’en demeure pas moins essentielle, les scolytes ayant une fonction de régénération de la forêt ; en supprimant les arbres trop faibles ou en stress hydrique et en limitant le pompage des eaux par ceux-ci, en accélérant la décomposition du bois mort et en produisant un humus forestier riche, ces chers insectes favorisent la pousse de jeunes plants et réduisent les risques d’incendie. L’exploitant forestier réfléchit autrement à ce phénomène, bien entendu, avec le risque phytosanitaire que cela peut comporter et les pertes d’exploitation engendrées, sans compter que le risque s’accroît à mesure que la biodiversité se réduit (cas des monocultures). Non éluderons ici les moyens de lutte qui intéressent davantage le gestionnaire ou l’exploitant forestier que les constructeurs.
Constat implacable et alarmant
Dans certains cas, ce sont des forêts entières qui dépérissent sur pieds ou sont littéralement couchées au sol par des vents violents, laissant une masse considérable de bois inexploités ; rien qu’en région française Grand Est, contigüe à notre territoire, ce sont pas moins de 3,3 millions de m3 de bois qui ont été récemment « déclassés », dont 1,8 million d’épicéas.
Dans les résultats 2023 de son inventaire phytosanitaire des forêts luxembourgeoises, l’ANF (Administration de la Nature et des Forêts) indiquait : « L’état de santé des forêts luxembourgeoises reste préoccupant, suscitant des inquiétudes quant à la détérioration continue des essences feuillues, bien que la situation des résineux semble avoir connu une légère stabilisation. À partir de 2010, les conditions sanitaires des arbres de nos forêts ont connu une détérioration marquée, caractérisée par une augmentation du taux de mortalité au sein des peuplements forestiers et une diminution de la résilience des forêts face aux pressions extérieures. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette situation. En premier lieu, les conditions météorologiques des dernières années ont fortement affecté nos écosystèmes forestiers (…), tandis que la prolifération d’organismes nuisibles a également joué un rôle préjudiciable. Tous ces éléments sont des conséquences palpables du changement climatique (...) ».
Vers une source sous-exploitée de matière première bois
Nous nous focaliserons sur l’épicéa, sévèrement touché et donc disponible en grandes quantités, très largement exploité en bois de construction et d’ingénierie dans nos projets en bois. Plusieurs études comparatives initiées par divers Offices, Associations et Groupements attachés à la gestion de la forêt, assistés par des centres techniques et scientifiques ad hoc, ont mené durant ces cinq dernières années des analyses et études portant sur des individus tant sains que scolytés à divers degrés (de léger à mort).
Ces études sont unanimes et claires, démontrant que le bois scolyté est entièrement exploitable en construction et donc très loin d’être « perdu », tant en usage massif qu’en usage collé, nonobstant une perte de rendement pouvant atteindre 15 à 20 % dans le cas de bois fortement dégradé. Aucune perte de performance mécanique n’est constatée, ni aucune perte qualitative. Il faut cependant tolérer un bleuissement (variantes gris-bleu à brunâtres plus exactement) du bois qui affecte esthétiquement son aspect, bleuissement causé par la présence d’un champignon (Ascomycètes) inoculé par le scolyte. Récent projet-témoin de cette confiance, l’usage de bois scolyté pour une partie des charpentes du nouveau siège de l’ONF (Office National des Forêts) à Maisons-Alfort, conçu par l’agence Vincent Lavergne Architecture et Urbanisme.
Il est essentiel aujourd’hui de bien communiquer sur ces aspects performanciels afin de sensibiliser les acteurs encore sceptiques, à la fois pour ne pas risquer de perdre définitivement ces importants gisements disponibles, mais également pour soutenir une filière complète, le temps étant ici un paramètre décisif : accélérer la coupe des arbres touchés permet de réduire la propagation de l’épidémie et limiter les dégâts sur les populations proches encore saines. Il s’agit d’un geste citoyen et responsable, alors construisons « scolyté » !
Article - Construire avec du bois scolyté
Régis Bigot, Architecte & Innovation Project Manager Neobuild GIE
Extrait de Neomag #64