Low-tech, high-tech, less-tech...
Les bâtiments qui se construisent de nos jours sont de plus en plus « bardés » de technologie et d’installations techniques. On y intègre un empilement de solutions permettant d’améliorer le confort des occupants, de faciliter la maintenance ou encore de réduire les consommations.
Mais nous posons-nous vraiment les bonnes questions ? Ce millefeuille technologique n’est-il pas contre-productif ? Cette inflation est-elle toujours pertinente ?
Constat
De nos jours, la technologie joue un rôle de plus en plus important dans la conception des bâtiments, notamment dans le but de résoudre une multitude de problématiques rencontrées en phase de conception. Par exemple, le pilotage automatique de stores extérieurs en fonction de l’ensoleillement pour éviter la surchauffe estivale. La démocratisation du « smart building » ou bâtiment intelligent a pour objectif d’exploiter au maximum le potentiel de ces technologies afin de pouvoir optimiser la gestion des équipements avec un monitoring énergétique efficace, de faciliter les modifications dans les bâtiments en offrant une flexibilité accrue et en fournissant une interopérabilité évoluant de manière croissante entre l’ensemble des systèmes. Le bâtiment intelligent est la pierre angulaire indispensable à la maîtrise et à la gestion des technologies implantées dans les bâtiments actuels.
La conception raisonnée de nos aïeuls, la conception bioclimatique dans son approche d’ensemble ou encore des initiatives visant à réduire des installations et mécanismes de production et de contrôle de l’énergie permettent de s’adapter et d’accepter les vicissitudes de notre climat
Vivre les saisons
Parallèlement à la conception de bâtiments telle que nous l’entendons aujourd’hui dans le contexte réglementaire luxembourgeois, il existe ailleurs des initiatives de construction qui utilisent peu voire pratiquement aucune technologie et dans lesquelles les occupants se sentent bien. La conception raisonnée de nos aïeuls - qui disposaient de peu voire d’aucun accès aux technologies modernes, la conception bioclimatique dans son approche d’ensemble ou encore des initiatives visant à réduire des installations et mécanismes de production et de contrôle de l’énergie (pensons au concept énergétique 2226 des architectes Baumschlager Eberle) permettent de s’adapter et d’accepter les vicissitudes de notre climat que sont l’évolution et les changements des températures, d’hygrométrie ou d’ensoleillement.
Au-delà des données purement physiques, la sensation de confort et de bien-être que l’on peut ressentir ou non dans une atmosphère « close » est à la fois normée, mais finalement toute personnelle et subjective, tandis qu’elle évolue au fil du temps (notre temps) et des époques (habitudes, cultures). Il est utopique de vouloir créer un environnement qui puisse convenir à toutes les personnes, en tous lieux et en toutes saisons, y compris avec une armada de technologie(s).
Un exemple assez frappant qui témoigne de la culturalité de nos modes de vie, est la manière dont on conçoit et dont on construit des bâtiments au Japon – qui n’est, soit dit en passant, pas un exemple de société réfractaire à la technologie : l’accent est plutôt mis sur la manière de se prémunir des températures estivales et de l’humidité de l’air élevées et d’assurer une bonne circulation de l’air toute l’année - notamment au travers d’une bonne conception architecturale -, sans pour autant isoler (voire pas du tout isoler) correctement les constructions. C’est assez frappant de constater que dans des immeubles ou maisons résidentielles de conception japonaise récente, le double vitrage et 8 à 9 cm d’isolation sont considérés comme des standards de performance élevés - et nous n’avons pas encore abordé les systèmes de production d’énergie ! Les hivers sont bien plus rigoureux qu’en Europe et les intérieurs assez froids ; il y a une forme d’acceptation des contraintes climatiques qui vise à ne pas maintenir les températures intérieures à des régimes trop élevés (entre 10 et 15 °C), et qui consiste surtout à ne chauffer que certains endroits stratégiques (les lieux de vie communs par exemple, ou l’on se regroupe). Les Japonais appellent cette stratégie le « gaman », qui pourrait se traduire par patience, retenue et endurance : en croisant quelques données, les Japonais consommeraient ainsi et en moyenne de deux à trois fois moins d’énergie que sous nos contrées. De là à y faire une culture au Luxembourg, nous en doutons vraiment, mais quelle pourrait être la voie de sortie si, un jour, nous venions à manquer de combustibles et que la technologie ne soit pas arrivée à remplacer nos énergies actuelles et garantir nos usages ? Soyons complets et honnêtes, si cette approche relève d’une approche de vie, d’une culture et d’une philosophie tout orientale qui vise à vivre le froid comme le chaud, le gouvernement japonais se penche ardemment sur la révision des codes de construction et des réglementations.
Cette approche japonaise toute particulière est à inscrire en parallèle avec celle d’un collectif belge de chercheurs dénommé Slowheat (www.slowheat.org) qui explore des solutions permettant aux occupants de vivre confortablement en réduisant de manière drastique le recours à la technologie : si les concepts de bonnes conceptions architecturale et technique ne sont absolument pas à remettre en cause pour les bâtiments en cours de conception et d’exécution, il existe une quantité énorme de constructions qui ne pourra tout simplement pas être mise aux normes, ou difficilement ; il existe également une quantité de personnes qui ne pourra pas, pour des raisons financières, supporter ces coûts - et peut-être même que certains états seront vite dépassés. Se pose la question de la gestion de ce parc immobilier et de la « supportabilité » technique (faisabilité, mais également disponibilité des matières, matériaux, systèmes techniques, main-d’œuvre, …) et financière pour les « mettre à jour », sans compter le temps nécessaire pour y parvenir. Le chauffage « localisé » (chauffage par radiation par exemple) ou la combinaison d’un chauffage classique (de fond) qui assume les premiers gradients de température et d’un chauffage secondaire assurant un microclimat deviennent donc des options à (re)considérer, que l’initiative Slowheat décrit longuement sur son blog et qui peuvent pallier certains déficits extrêmes de confort.
Smart building ou smart conception ?
Comme précisé plus en avant, le « smart building » est indispensable pour les constructions récentes intégrant un grand nombre de technologies. Néanmoins de nombreux exemples montrent que des bâtiments conçus intelligemment, en tenant compte de l’environnement extérieur direct, permettent d’éviter la création de contraintes auxquelles fait face l’architecture contemporaine. À titre d’exemple, un bâtiment conçu selon les principes du bioclimatisme - comme l’Héliodome, qui accuse aujourd’hui une dizaine d’années d’exploitation - qui tient compte de la course du soleil, permet d’atteindre des paramètres de confort excellents sans avoir à recourir à la technologie telle qu’on la connaît, même si le concept est difficilement réplicable dans ce cas précis, l’ère des constructions résidentielles isolées étant en sursis évident. Mais il est naturel de se poser cette question : le smart building a-t-il un intérêt quelconque dans ce type d’ouvrages ?
De nouveaux concepts de bâtiments contemporains intelligents voient le jour régulièrement, qui intègrent cette approche architecturale basée sur l’exploitation de l’environnement extérieur et de ses apports passifs.
La promesse d’énergies sans rupture d’approvisionnement et la foi en une technologie sans cesse renouvelée et exponentiellement plus performante ont quelque peu écarté l’architecture de règles de conception simples
En guise de conclusion
Durant ces 70 dernières années environ, la promesse d’énergies sans rupture d’approvisionnement et la foi en une technologie sans cesse renouvelée et exponentiellement plus performante ont quelque peu écarté l’architecture de règles de conception simples. Le tout à la technologie s’est imposé jusqu’à l’édition de règles de conception sans cesse plus contraignantes. Niveaux de température identiques, garantis partout et tout le temps, ventilation hygiénique en continu, taux d’hygrométrie constants, obligation d’absence de désordres, … autant de préceptes qui nous permettent aujourd’hui de vivre dans des environnements extrêmement confortables et régulés... mais qui a contrario complexifient la conception, nécessitent un suivi constant et sont parfois contre-intuitifs.
Avons-nous besoin de tous ces systèmes pour vivre mieux ? En partie certainement, eu égard à nos modes de vie contemporains, majoritairement sédentaires. Sont-ils soutenables et, en plaisantant, pourrions-nous équiper l’ensemble de la planète en panneaux solaires, pompes à chaleur et triples vitrages ? Certainement non, sauf à ce qu’une technologie révolutionnaire, universelle et déployable facilement et rapidement voie le jour. N’avons-nous pas délégué à la technologie notre pouvoir de conception et notre intelligence et les exemples de milliers d’années d’évolution de l’art de construire ne nous fournissent-ils pas de quoi continuer à mieux concevoir tout en consommant moins ? Nous en sommes convaincus. Un peu moins de technologie, mais une meilleure technologie.
Aurélien Walter, Mickaël Pascual et Régis Bigot - Innovation Project Manager chez Neobuild GIE
Extrait de Neomag #51