
Construction d’une Tiny House en béton imprimé à Niederanven
L’atelier ODAA dirigé par l’architecte Bujar Hasani et la commune de Niederanven développent actuellement cet étonnant projet de Tiny House de 47 m2 sur un terrain de forme complexe, en béton imprimé.
Interview de Bujar Hasani, architecte à l’atelier ODAA, Fred Ternes, bourgmestre de Niederanven, et Cédric Bruch, architecte et urbaniste communal.
Bujar Hasani, pour ce projet, vous êtes-vous réveillé un matin avec une idée un peu folle, ou s’agit-il d’un long processus de maturation ?
BH : Je m’efforce chaque matin de trouver des idées et des solutions pour répondre aux besoins des maîtres d’ouvrage, en équilibre avec l’environnement. Cela reflète aussi la philosophie que je souhaite implanter dans mon atelier. Ce projet est le fruit d’un long processus et je suis convaincu que cette technologie peut devenir l’une des méthodes de construction de demain.
Ce sera donc le premier projet imprimé en béton au Luxembourg, est-ce exact ?
BH : D’après les informations dont nous disposons, oui, et j’espère sincèrement que ce ne sera pas le dernier. Nous avons franchi une étape importante et je suis très reconnaissant du soutien de la commune de Niederanven pour cette initiative. Cela ne signifie pas que cette technologie doive être appliquée à tous les projets, mais je suis convaincu qu’elle fera partie de notre environnement rapidement.
S’agit-il d’impression de béton sur site, d’impression de composants destinés à être assemblés sur site ou encore de l’impression d’un module complet à transporter sur le site ?
BH : Toutes les approches mentionnées sont effectivement possibles ; dans ce projet, nous avons choisi de réaliser une impression sur site à l’aide d’un robot. L’idée est de permettre au grand public de découvrir cette technologie, son fonctionnement et comment elle répond aux besoins de la construction.
Rares sont les experts locaux en matière d’impression 3D de béton, qui sont vos partenaires de développement technique sur ce projet ?
BH : Le premier contact avec nos partenaires a eu lieu lors d’un concours international aux Émirats, où nous avons présenté un projet axé sur l’autonomie et l’innovation. À cette occasion, nous avons pris contact avec l’entreprise Peri. Nous avons ensuite recherché des « applicateurs » et Georgos Staikos – auteur de la première maison imprimée en béton en Allemagne – nous a rejoint. Nous avons également visité plusieurs chantiers en cours, y compris des projets publics de grande envergure. Le contact avec des acteurs-clés, par exemple les producteurs de matériaux comme Sika, a également été décisif. Nous explorons également des solutions sans béton ! Nous nous sommes ensuite entretenus avec la commune de Niederanven et son architecte et urbaniste Cédric Bruch à propos de ce projet, sur fond de crise du logement et de terrains complexes à exploiter en raison de leur forme hors-norme. Le projet a séduit par son approche et nous avons obtenu le feu vert pour son développement.
Quelle est votre vision d’avenir par rapport à cette technologie ?
BH : Je constate au quotidien la pénurie croissante de main-d’œuvre « traditionnelle » ; en Allemagne, j’ai pu observer une génération de jeunes motivés et impliqués dans les chantiers de construction innovants, notamment ceux faisant usage de l’impression 3D. Ce n’est pas tant que l’impression 3D remplace l’humain, mais plutôt qu’elle change la façon de travailler et améliore la vitesse d’exécution. La jeune génération utilise bien mieux que nous l’ensemble de ces nouveaux outils numériques et en cela, il y a beaucoup d’avenir.
Fred Ternes, comment cette collaboration avec l’architecte Hasani a-t-elle démarré et en quoi consiste-t-elle ?
FT : Début 2024, le collège échevinal a demandé notre architecte communal Cédric Bruch de proposer un premier projet pilote d’une tiny house qui serait rapidement réalisable. Ensemble, nous avons tout d’abord cherché un terrain qui serait constructible de suite, sans modifications nécessaires au niveau du PAG. En moins de six mois, notre service de l’Urbanisme a réussi à monter ce projet en impression 3D avec le concours de l’architecte Hasani.
Quelles étaient les motivations de la commune ? Car, il a bien fallu fédérer plusieurs personnes sur cette question ?
FT : Notre motivation principale était de réaliser très vite un premier exemple sur une parcelle qui ne peut pas vraiment servir pour du logement plus « classique ». Nous sommes convaincus que de telles parcelles existent dans l’ensemble des 100 villes et communes du pays et ceci pourrait donc, à très court terme, aider à offrir des logements supplémentaires de petite taille qui manquent cruellement au Luxembourg.
Pensez-vous que les autorités publiques, notamment les villes et communes, doivent être des acteurs encore plus engagés dans l’intégration de solutions innovantes ?
FT : En effet, une autorité publique peut montrer l’exemple et créer un cadre adéquat dans le plan d’aménagement général voire encore dans son règlement des bâtisses afin de promouvoir des solutions innovantes dans le domaine du logement.
La commune de Niederanven semble mener plusieurs initiatives en termes de construction durable, pouvez-vous en dire davantage à nos lecteurs ?
FT : Nous sommes en train de réaliser une douzaine de grands projets de construction en parallèle, ce qui correspond à un effort important pour nos services. J’aimerais en citer deux, à savoir une nouvelle école et maison relais pour le cycle 1 ainsi que le projet d’une crèche forestière. Les deux projets seront certifiés selon le label DGNB, ce qui prouvera le caractère exemplaire de ces deux projets en termes de construction durable et d’efficience.
Pensez-vous que les législations urbanistiques en vigueur à l’échelle nationale devraient être modifiées afin de faciliter le développement et l’intégration d’architectures durables et innovantes et si oui, quelles seraient selon vous les pistes envisageables ?
FT : Je suis convaincu que les législations en vigueur permettent d’ores et déjà de créer des projets innovants sans entamer de longues procédures. Évidemment les législations urbanistiques doivent être adaptées régulièrement et la loi prévoit un rapport d’évaluation à cet égard tous les six ans afin d’éviter de se retrouver après plusieurs décennies avec une législation ancienne. Cependant, je pense qu’il faut tout d’abord être pragmatique et déjà exploiter toutes les possibilités actuelles.
Cédric Bruch, souhaitez-vous faire passer un message particulier à propos de ce projet ?
CB : L’impression 3D du béton ne va peut-être pas résoudre le problème du logement au Luxembourg, mais cette technologie nous permet de réagir rapidement en édifiant des bâtiments en un temps record, répondant ainsi à la pénurie actuelle et future de main-d’œuvre dans le secteur de la construction. Elle offre surtout une grande liberté de conception aux architectes et contrairement aux techniques traditionnelles, l’originalité de la conception et du design a peu d’impact sur le coût final de l’ouvrage. Ce projet pilote est un projet collectif dans lequel beaucoup d’intervenants se sont investis, et nous espérons tous ensemble gagner en expérience et continuer ainsi à participer au processus évolutif et intégratif de cette technologie.
Trends, facts & figures
C’est un long chemin que de porter l’innovation. Nous avons ici souhaité condenser les pours et les contres actuellement assignés à cette technologie, en toute transparence et sans présager des développements que nous réserve l’avenir.
Au registre des avantages, citons la vitesse d’exécution précitée, qui concerne de fait ce qui sera imprimé en béton ; le reste des postes (fondations, parachèvements, techniques spéciales, etc.) restant soumis à des délais d’exécution parfois plus conventionnels ou, en cas de préfabrication par exemple, à des délais plus courts. Au global, il se pourrait que certains projets soient en réalité « juste un peu plus rapides » et d’autres « réellement beaucoup plus rapides », en fonction des choix constructifs. En résumé, c’est plutôt de proportion des éléments imprimés en rapport avec l’ensemble du projet dont il faudra tenir compte dans le calcul du gain de temps.
La réponse à la pénurie de main d’œuvre semble bien réelle et indépendante des habitudes constructives locales. L’appel à la numérisation et à la digitalisation qu’implique cette technologie séduit davantage les générations plus jeunes qui se jouent des contraintes et y voient un formidable terrain d’expérimentation et de création, participant au renouvellement des solutions de design.
D’un point de vue environnemental, il semble évident aujourd’hui que le béton agira comme un premier vecteur avant de faire plus de place pour d’autres matières, telles que la résine de bois, l’argile ou les bioplastiques par exemple.
Enfin, il faudra évaluer de manière définitive les impacts environnementaux, les aspects de démontabilité, la durée de vie réelle des ouvrages ou encore les coûts finaux des ouvrages, et nous espérons évidemment pouvoir en rediscuter une fois le projet achevé car sur ce point, les avis sont très divergents. Une chose est actuellement certaine, les matières premières et ciments spéciaux qui entrent dans la composition des bétons imprimés sont encore fort onéreux, mais comme toujours, ces technologies évoluent très rapidement. Une corrélation devrait si possible être établie avec les fluctuations de prix des bétons conventionnels afin d’analyser le marché.
Bravo aux initiateurs de ce projet et beaucoup de succès dans la poursuite de leur aventure autour de l’innovation.
Interviews et textes par Régis Bigot, Architecte & Innovation Project Manager Neobuild GIE
Article paru dans Neomag #67 - décembre 2024
Crédits photographies et illustrations : ODAA, Bujar Hasani Arch.