Nos experts livrent leurs réflexions sur l’intérêt du bilan carbone pour initier une démarche cohérente de décarbonation, la responsabilité des fabricants dans l’adoption de matériaux décarbonés, l’importance d’une approche incluant toute la chaîne de valeur dès la conception et le poids de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables.
Anass Haddaji,
Responsable opérationnel chez COCERT
« Le bilan carbone est un sujet d’actualité dont nous discutons entre collègues pour trouver la démarche pertinente qui permettra de lancer la décarbonation. Ce n’est rien d’autre que la somme de toutes les émissions de gaz à effet de serre (GES), qu’elles soient directes ou indirectes, générées par une organisation pendant une période donnée. La méthode basée sur la norme ISO 14064 propose une démarche d’amélioration continue ciblant les organisations, les collectivités et les territoires, qui fournit un cadre complet pour évaluer les impacts environnementaux et, par la suite, les réduire.
Elle passe par cinq étapes clés que sont la désignation d’un expert et la sensibilisation des équipes, la définition des périmètres temporel, organisationnel et fonctionnel, la collecte des données et l’exploitation des résultats, la mise en place d’un plan d’actions de réduction et enfin, la synthèse et la restitution du rapport.
Le bilan carbone permet d’identifier les postes les plus émetteurs de GES, de mesurer la dépendance aux énergies fossiles, de définir des mesures pour réduire cette dépendance, de réfléchir à la stratégie de développement de l’organisation, d’anticiper les contraintes réglementaires et d’améliorer l’image de l’organisation. En somme, c’est un outil essentiel pour une gestion environnementale efficace et durable. De plus, dans le contexte légal et administratif actuel, il est devenu incontournable.
Les obligations réglementaires, dont le Plan National Énergie Climat (PNEC) qui vise une diminution des GES de 55 % d’ici 2030 et 100 % d’ici 2050, ainsi que l’augmentation progressive de la taxe carbone, renforcent la nécessité d’une telle démarche. Sur le plan économique, les mécanismes de compensation et le branding jouent un rôle crucial, tout comme les demandes des parties prenantes sur le plan social. »
Benoît Lespagnol,
Directeur Général de All In One Technologies
« La décarbonation est au centre de tous nos projets, qui sont axés sur l’efficience énergétique, les énergies renouvelables et la récupération de chaleur. C’est en faisant économiser de l’énergie à nos clients que nous participons aux efforts vers la neutralité carbone. Aujourd’hui, des solutions techniques existent pour décarboner la plupart des situations. Dans les bâtiments neufs, la production d’énergie peut l’être en combinant pompes à chaleur et panneaux photovoltaïques. Dans les bâtiments existants, il est conseillé de remplacer progressivement les équipements à énergies fossiles par des alternatives à électricité verte ou à biomasse. Des solutions hybrides peuvent également être envisagées, les installations existantes sont alors conservées pour les pointes, en complément des pompes à chaleur. Contrairement à certaines idées reçues, de nombreux systèmes de chauffage à haute température peuvent être remplacés par une pompe à chaleur. Tout est une question de choix technologique et de dimensionnement. Par ailleurs, un monitoring énergétique actif et efficace des installations est primordial pour une utilisation intelligente et optimale des flux énergétiques, avec des économies d’au moins 5 à 10 % à la clé. La meilleure énergie est encore celle qui n’est pas consommée. »
Lee Franck,
Ingénieure experte en décarbonation chez LEEN
« Le défi de la réduction de l’empreinte carbone de la construction nécessite une approche réfléchie et globale, qui met l’accent sur la sobriété et l’efficacité. Plutôt que de simplement remplacer les matériaux traditionnels par des alternatives à faible empreinte carbone, il est essentiel de repenser nos besoins initiaux, de moderniser et réaffecter le bâti existant plutôt que le démolir et de se tourner vers une conception intelligente, privilégiant des systèmes de construction moins consommateurs en matériaux et facilitant la déconstruction et la réutilisation. Il est crucial d’impliquer toute l’équipe de maîtrise d’oeuvre dès les premières phases du projet, pour que les ingénieurs puissent jouer leur rôle en proposant des solutions pour diminuer les quantités de matériaux nécessaires. Une approche collaborative où chaque partie prenante contribue à la réflexion et à l’évaluation des différentes options, ainsi qu’une quantification des émissions de carbone sont indispensables pour guider le projet dans la bonne direction. En exploitant pleinement les leviers à notre disposition, une réduction significative de l’empreinte carbone est réalisable, avec un potentiel accru si l’ensemble de l’écosystème de la construction est engagé. Il est urgent d’agir dès maintenant, car les années à venir jusqu’à 2030 sont critiques. Des actions immédiates sont nécessaires pour éviter des mesures drastiques à l’avenir. »
Christian Rech,
Fondé de pouvoir chez CIMALUX
« La responsabilité de proposer des matériaux décarbonés repose sur les industriels qui disposent de leviers à court terme comme l’utilisation de combustibles secondaires biogènes et l’optimisation des formulations, ainsi que des solutions à moyen/long terme comme le captage de CO2. Cependant, il est capital que tous les acteurs de la chaîne de valeur participent à la réduction de l’empreinte carbone. Diverses approches sont possibles. Par exemple substituer des matériaux plus émetteurs de CO2 par des alternatives moins émettrices ou utiliser des matériaux plus performants pour réduire les volumes nécessaires. Cette démarche complexe nécessite une coordination entre tous les acteurs, avec une approche prenant en compte une multitude de critères tels que le coût global, l’impact sur les utilisateurs, la société, l’environnement, le climat ou l’utilisation rationnelle des ressources tout au long du cycle de vie des bâtiments. Les décisions prises aujourd’hui auront des répercussions pendant des décennies, d’où l’importance de considérer chaque projet de manière individuelle et d’adopter une approche holistique pour atteindre des objectifs optimaux en matière de soutenabilité. »
Propos recueillis par Mélanie Trélat