La due diligence dans les transactions immobilières
Le numérique est devenu incontournable dans tous les secteurs, transformant les processus et la gestion des risques, ce qui pose des défis aux acteurs économiques, leurs conseillers et aux administrations, y compris dans l’immobilier. Article de Me Mario Di Stefano, Managing Partner et avocat à la Cour chez DSM Avocats à la Cour.
L’évolution des pratiques de due diligence dans les transactions immobilières en est une des illustrations, où le recours toujours plus poussé à des outils numériques est une réalité.
On peut ainsi dire que le temps des data room papier est définitivement révolu. Le standard est, aujourd’hui, la communication des documents et informations par une data room numérique, logé dans le cloud.
Aussi, de plus en plus, et surtout pour les data room très volumineuses contenant nombre de documents à fonction similaire, l’analyse du contenu de la data room n’est plus effectuée par des humains, mais à l’aide d’outils numériques connaissant une évolution rapide et continue. Les possibilités ouvertes par l’intelligence artificielle et l’augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs évoluent à une vitesse époustouflante.
Néanmoins, des précautions sont à prendre pour éviter certains risques pratiques liés à cette évolution.
D’un côté, il faudra s’assurer que la compilation des documents et informations dans la data room est complète, non équivoque et conforme aux originaux s’ils sont en format papier. Effectivement, dans la plupart des cas, cela correspond à une obligation prévue contractuellement. Or, souvent la documentation d’origine peut présenter des lacunes ou peut être fastidieuse à réunir. Par exemple, il n’est pas rare que des contrats soient numérisés sans les annexes, ou séparément des annexes, ou que la documentation soit répartie sur plusieurs départements, voire tenue par des conseils et prestataires externes. Parfois des changements au niveau des équipes peut mener à une déperdition d’informations ou la perte d’une vue d’ensemble.
Il est dès lors recommandé de ne pas attendre qu’une situation de due diligence se présente, mais revoir de façon critique et régulière la pratique de gestion des informations et documents, pour la rendre complète, fiable et traçable, et indépendante des départs qui peuvent survenir au niveau des équipes de gestion.
Cela paraît évident, mais il faut constater que dans la pratique on rencontre de nombreux cas où l’exercice de due diligence se heurte à un manque d’efficacité au niveau de la compilation de la data room, voire révèle des faits pertinents dont la partie venderesse n’avait pas, ou plus, connaissance.
Ensuite, et en fonction de l’étendue du recours à des outils d’analyse numériques, il y aura lieu de déterminer les aspects où une intervention humaine sera requise.
D’un côté, cela concernera le choix des outils numériques, la compréhension de leur fonctionnement et de leurs limites et le paramétrage, et de l’autre côté l’analyse des résultats et leur prise en compte dans la rédaction du rapport de due diligence et des documents contractuels.
Une confiance aveugle ou une référence sans critique à des résultats générés par des outils numériques ou des « algorithmes » peut engendrer des risques importants, voire remettre en cause la transaction en tant que telle si ces résultats révèlent des risques imaginaires ou purement théoriques, découlant d’un mauvais paramétrage.
Un autre défi est la sauvegarde et l’archivage des données de la data room, qui doit être fiable, pérenne et opposable aux parties. Vu qu’en général cela ne se fait plus aujourd’hui en format papier, on aura recours à des solutions numériques, comme une sauvegarde sur une clé USB ou un DVD non réinscriptible, ou encore une détention des données en séquestre auprès d’un tiers. Il est alors important de vérifier la conformité de cette sauvegarde avec le contenu de la data room, et de documenter l’accord des parties sur l’opposabilité du contenu du support numérique en cas de différend, et notamment en cas d’appel par la partie acquéreuse à des garanties consenties par la partie venderesse dans le cadre de la transaction. Il faudra, finalement, s’assurer de l’archivage du support numérique conservant son intégrité physique et permettant de le retrouver en cas de besoin. Là encore, cela paraît évident, mais on rencontre parfois des situations où, par exemple, pour des documents pertinents pour des garanties en matière fiscale qui peuvent porter sur une durée d’une dizaine d’années, il n’est plus possible de retrouver le support numérique.
Il va de soi qu’il faudra dans ce contexte respecter les obligations en matière de protection des données et les procédures internes de l’entreprise en matière de RGPD, en assurant l’intégrité de ces données, et en les protégeant contre des accès inautorisés.
On ne pourra négliger la protection de la propriété intellectuelle, alors qu’outre l’obligation de respecter les conditions d’utilisation des outils numériques en tant que tels et les droits de propriété intellectuelle en rapport avec ces outils, les opérations de due diligence peuvent impliquer la diffusion de documents, plans, images et informations faisant l’objet de droits d’auteur ou de secrets commerciaux.
La numérisation de ces données signifie qu’elles ne sont plus confinées au secret d’un classeur physique, mais stockées dans le cloud avec un accès ouvert à la contrepartie, mais aussi à un certain nombre d’intervenants externes, de sorte qu’elles peuvent échapper au contrôle de la partie les ayant dévoilées.
Il y aura donc lieu de prendre soin d’en limiter la diffusion, de soumettre les récipients à une obligation de confidentialité, et les cas échéant recourir à des plateformes numériques permettant d’identifier la partie ou l’intervint ayant téléchargé un document qui aurait par la suite été diffusé en violation d’une telle obligation.
Tout cela nécessite la mise en place d’une stratégie bien déterminée.
On peut en tirer la conclusion qu’en parallèle à l’importance croissante du recours à des outils numériques et l’intelligence artificielle, l’intervention humaine reste (encore ?) déterminante dans le cadre des transactions immobilières de taille, et au niveau des entreprises parties à la transaction, et au niveau de leurs conseils.
On ne pourra donc, dans ce contexte, négliger la formation des intervenants non seulement à l’utilisation, mais aussi à la compréhension en profondeur du fonctionnement des outils numériques, et de leurs limites. Au vu de l’évolution rapide de la technologie, cela requiert une mise à niveau constante, mais aussi une formation au processus de due diligence classique en tant que tel.
Pour toutes les parties prenantes, l’adaptation à la révolution numérique est un enjeu de taille, déterminant pour leur compétitivité et donc leur avenir dans un monde qui change profondément.
Me Mario Di Stefano, Managing Partner – Avocat à la Cour, DSM Avocats à la Cour