Le BIM, du bâtiment au quartier
Interview de Sylvain Kubicki, Lead Research and Technology Associate au LIST.
Dans les feuilles de route de la recherche et innovation européennes, le BIM n’est aujourd’hui plus vraiment considéré comme une thématique de recherche, mais comme une innovation à court terme, prérequis à des transformations environnementales, économiques et sociétales essentielles pour notre environnement bâti. Le LIST travaille sur des projets européens qui concernent, par exemple, les nouveaux certificats de performance énergétique (CPE), l’analyse du cycle de vie (ACV) des bâtiments, leur pilotage en temps réel, ainsi que leur déconstruction, mais aussi le confort de leurs occupants.
Le LIST fait partie des acteurs qui participent au déploiement du BIM. Dans quel contexte ?
En travaillant pour la Commission européenne en amont de la publication des directives à travers ses projets de recherche, le LIST participe à l’implémentation, voire à l’anticipation, des nouvelles politiques. Ces dernières peuvent concerner des thématiques comme l’économie circulaire, la rénovation des bâtiments ou encore leur performance énergétique qui peuvent bénéficier du BIM pour rendre leur implémentation plus aisée. L’Europe met en place des instruments très concrets : c’est le cas de Level(s), un cadre commun d’indicateurs clés de durabilité pour les bâtiments, du Digital Building Notebook ou encore du Smart Readiness Indicator.
Quels sont les projets qui supportent sur ces politiques ?
Le projet LEGOFIT vise à concevoir, mettre en œuvre et valider des concepts évolutifs pour construire et rénover des maisons à énergie positive à travers le développement d’une plateforme de conception innovante qui englobe non seulement les technologies passives et actives, mais également leur intégration pour un échange d’informations plus intelligent. Ces solutions fonctionneront autour d’un BIM « léger » qui répond à différents cas d’usage innovants dont la circularité des matériaux et le monitoring intelligent du confort des occupants en lien avec l’efficacité énergétique. Ce dernier a pour but de vérifier non seulement que les attentes des usagers en la matière sont remplies, mais aussi que le système favorise des comportements vertueux de la part des occupants, notamment en ce qui concerne les consommations énergétiques. Nous collaborons pour ces expérimentations avec la SNHBM sur un lotissement pilote de 24 maisons individuelles à Betzdorf.
Le saut d’échelle est essentiel aujourd’hui. Dans des contextes de plus en plus urbanisés, nous nous intéressons aussi à la régénération des quartiers. Nous démarrons, en janvier 2024, le projet REGEN qui regroupe plusieurs grandes villes de différents pays, comme Milan ou Dublin, qui ont fait des choix en termes de mobilité ou de décarbonation, en particulier en ce qui concerne les systèmes de chauffage. Mais il y a aussi un volet humain essentiel dans la régénération, pour adapter nos comportements en tant qu’usagers et citoyens. Par exemple, nous allons travailler sur la facilitation des déplacements piétons, notamment pour les populations vieillissantes, la rénovation énergétique et l’économie circulaire à l’échelle de la commune. L’idée est de voir comment le bâtiment peut être considéré comme un stock de matériaux et de composants qui fera partie de prochaines actions de régénération urbaine : opérations de rénovation et de construction, ou même le fait de redonner de la place à la nature pour d’autres types d’activités.
Le BIM est un sujet transverse au cœur des usages que nous venons d’évoquer. Comment est-il utilisé ?
Il permet les interactions techniques entre concepteurs, c’est un usage connu. À l’échelle du quartier, les modèles numériques peuvent être utilisés à des fins de présentation du projet et d’implication des usagers dans les développements. Nous développons l’application MUST qui contribue à créer de meilleures solutions urbaines en ajoutant un aspect social aux techniques d’optimisation actuelles. Elle réunit des experts en urbanisme maîtrisant les techniques de calcul/optimisation nécessaires et les usagers d’un environnement urbain à qui elle permet de participer au processus de conception dès les 1res phases. Ce sont eux, en effet, qui peuvent le mieux contribuer à formaliser ce qu’ils attendent d’un lieu et, dans un second temps, revoir les projets au cours de workshops participatifs. Un de nos objectifs est de tester et d’adapter cette application à des concepts qui intègrent les notions de mobilité urbaine, de circularité (réutilisation, mise à disposition, partage d’éléments, etc.), et de décarbonation de l’environnement bâti à travers les différentes phases de cycle de vie.
Quel est votre rôle en tant que chercheurs ?
En multipliant les usages du BIM, on multiplie les bénéfices et on rentabilise les efforts de modélisation et de saisie d’information. C’est notre approche. Cependant, chaque usage requiert ses données spécifiques et a généralement sa propre manière de les contextualiser et de les structurer. Chaque usage requiert aussi que les systèmes soient interopérables. Au niveau de la recherche, la méthode est d’identifier les modèles de données puis de les valider par le biais de démonstrateurs. Leur implémentation via la mise en place de normes BIM est encore une autre histoire, et dépend des intérêts du marché.
Autre point important : manipuler plusieurs modèles BIM pour un même projet dans plusieurs systèmes entre différents acteurs pose des problématiques de connexion entre ces systèmes décentralisés, et cela met aussi en exergue le fait que les données appartiennent à ceux qui les génèrent. Nous collaborons avec nos partenaires pour faire communiquer des systèmes qui ne sont pas prévus pour le faire à la base en essayant de faire vivre le modèle BIM.
Mélanie Trélat
Extrait du NEOMAG#58
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