Maîtriser la donnée pour améliorer la gestion de projets
La digitalisation, chez Schroeder & Associés, a pour vocation de répondre à un besoin précis qui doit être clairement identifié avant de déterminer les outils technologiques et le processus à mettre en œuvre pour obtenir le résultat visé. Cela implique de combiner une approche purement informatique et une approche ingénierie.
Quelle est l’origine de la digitalisation chez Schroeder & Associés ? Pourquoi vous y êtes-vous intéressés ?
Marco Da Chao : Un des prémices de la digitalisation est d’avoir un besoin ou un objectif défini. Il faut savoir précisément pourquoi on le fait. La raison, pour nous, était de pérenniser la donnée, qui au départ était sur du papier, et de pouvoir la retrouver facilement à long terme.
Sven Lamberty : Nous travaillons sur le sujet depuis les années 1980 déjà, avec la digitalisation des armoires à plans et le passage des planches de dessin au CAD, par exemple.
Mais c’est lors de notre emménagement dans notre nouveau siège social à Kockelscheuer, en 2020, que nous avons eu un réel besoin physique de dématérialisation : nous avions alors tellement de documents papiers que nous n’étions tout simplement pas déménageables ! Nous avons donc mis en place une plateforme pérenne, intégrée dans l’écosystème Schroeder, où la donnée que nous cherchons peut être retrouvée des années plus tard.
Lorsque nous avons commencé à mettre en place des procédures BIM en 2016, domaine où nous étions précurseurs au Luxembourg, cela a été une autre grande étape. Nous nous sommes plus qu’intéressés au BIM, nous avons mis en place une équipe et recruté une personne dédiée pour l’implanter dans l’ADN de Schroeder.
Aujourd’hui, le but est de réussir à combiner le BIM avec des solutions d’intelligence artificielle pour optimiser les calculs, les simulations et choisir la solution d’ingénierie la plus durable. Et, par la suite, nous pouvons même nous servir de capteurs connectés pour vérifier si ce qui a été construit et est exploité correspond bien aux prévisions.
À quels types de besoins l’IA vous permet-elle de répondre ?
MDC : Il y a quelques mois, nous avons engagé un AI Manager chargé de faire le tour des différents services pour identifier les besoins auprès de nos collaborateurs et déterminer avec eux les nouveaux outils technologiques et procédés qui pourraient être mis en place pour y répondre, le but étant d’arriver à un meilleur résultat. Pour cela, il faut non seulement connaître en profondeur toutes les technologies – et pas seulement le discours marketing de l’éditeur -, mais aussi bien comprendre nos métiers.
SL : Tout ce qui est récurrent - les étapes, les phases des différents projets - a déjà été décrit, et notre travail actuel consiste à combiner ces observations aux besoins exprimés par les collaborateurs. Parce que c’est là qu’est la vraie intelligence, dans le fait de comprendre ce que font nos ingénieurs, ce que peut faire un outil, et de mettre ces analyses en relation de façon éclairée.
Quelle est votre vision sur l’IA ?
MDC : L’intelligence artificielle, au départ, n’existe pas : cette intelligence doit être disciplinée et éduquée, il faut que quelqu’un lui apprenne à devenir intelligente. Nos processus requièrent une donnée qui a été stockée et structurée, et quelqu’un doit expliquer à la machine dans quelle limite se trouve ce qu’elle doit contrôler et quelle est la réponse à cette limite. Certes l’IA va ensuite se perfectionner par elle-même, mais le processus en amont reste nécessaire. On imagine souvent l’IA comme un phénomène fini, qui ne demande aucune réflexion. C’est tout le contraire : notre génération doit entraîner cette intelligence pour qu’elle reste maîtrisable et nous permette d’améliorer notre gestion de projets.
SL : Nous réalisons actuellement des études en vue de développer un moteur d’intelligence artificielle entraîné avec des données pertinentes, structurées, qui correspondent au contexte Schroeder, et dont nous sommes sûrs qu’elles sont correctes, de manière à fournir à nos utilisateurs un outil optimal, performant et intégré qui sera, par ailleurs, également hébergé en interne pour garder la maîtrise sur la donnée.
Avec l’IA, nous ne cherchons pas à remplacer l’humain qui conserve son esprit critique, ses capacités d’analyse et de décision, ainsi que sa responsabilité, mais à l’aider à faire ses choix et à le soulager de certaines tâches manuelles répétitives. Utiliser un drone ou un robot qui a des instruments de mesure embarqués pour effectuer un levé topographique, par exemple, permet de relever des données très précises plus rapidement que ne le ferait quelqu’un sur le terrain avec un théodolite, mais l’interprétation intellectuelle derrière reste le travail de l’ingénieur. Autre exemple : lorsque nous avons commencé à monitorer les machines et les valeurs environnementales de notre bâtiment il y a deux ans, nous recevions des dizaines d’alertes chaque jour. Il nous a fallu des mois d’observation pour affiner le système et définir les dysfonctionnements qui doivent réellement déclencher une alerte. Ce type de modèle ne peut pas être acquis tel quel. Il faut, pour le développer, des professionnels qui connaissent leur métier et qui ont de la passion pour l’exercer au quotidien.
C’est pourquoi les synergies entre le service IT et le service digitalisation sont primordiales. Nous apprenons beaucoup de nos collègues qui sont sur le terrain, qui interagissent avec les clients, qui ont une vue sur le marché, qui connaissent la réglementation et nous faisons en sorte de leur fournir un outil adapté à leurs besoins.
Le mot de la fin ?
SL : D’abord, l’intelligence humaine prime toujours sur l’intelligence artificielle. Et parmi toutes les technologies émergentes, la plus prometteuse et celle qui ne va plus disparaître est l’intelligence artificielle, mais en même temps c’est celle qui comporte le plus de danger de se tromper de chemin, ou d’engager de l’énergie dans la mauvaise direction.
Mélanie Trélat