Processus BIM : en cours de construction
Au sein de l’Ordre des Architectes et des Ingénieurs-Conseils, le Building Information Modeling est sur toutes les lèvres. Un groupe de travail sur le sujet a même été constitué pour définir un vrai « processus BIM », dans le but d’homogénéiser les pratiques des acteurs de la construction au Luxembourg.
L’architecte Yara Oweiss ainsi que les ingénieurs-conseils Joao Figueiredo et Paolo Dal Zotto font partie du groupe de travail de l’Ordre des Architectes et des Ingénieurs-Conseils (OAI) dédié au Building Information Model (BIM). « Ce groupe réunit plusieurs métiers - ingénierie, architecture, technique spéciale - pour voir ce qui se passe chez l’un ou chez l’autre en matière de BIM », explique Joao Figueiredo.
« Le but est d’avoir une vision globale de ce qui se passe ou pourrait se passer au Luxembourg, afin d’aboutir à une standardisation ou une uniformisation des méthodes à suivre dans un projet BIM, pour que tout le monde aille dans le même sens ». Car, pour lui, « il n’y a pas de doute, le BIM est le futur de la construction. »
Reste à convaincre une partie des acteurs du milieu car, comme Paolo Dal Zotto le constate, « côté maîtrise d’œuvre, il existe encore des disparités entre les différents bureaux. Les maîtres d’ouvrages, eux, manquent généralement de retours d’expériences ou d’informations sur le BIM. Certains en comprennent les avantages et se sont lancés, d’autres n’en saisissent pas encore l’intérêt ».
Choisir une approche bottom-up
Les trois professionnels soulignent donc l’importance d’établir un processus BIM luxembourgeois, d’abord pour que tous les acteurs de la construction sachent précisément à quoi fait référence le BIM. « Certains mélangent encore le BIM et la 3D, mais ce n’est pas du tout la même chose. Le BIM est un processus de travail en collaboration et de coordination entre les équipes impliquées sur un même projet », déclare Yara Oweiss.
Pour l’architecte, c’est à la maîtrise d’œuvre de permettre et de faciliter la compréhension du BIM : « Je crois profondément à l’importance d’une approche bottom-up. Ce sont les équipes directement impliquées dans la conception et la réalisation de projets - architectes, ingénieurs et entreprises – qui doivent être les moteurs du développement d’un processus BIM uniformisé et adapté au contexte local du Luxembourg ». Paolo Dal Zotto ajoute que « ce type d’approche permet de plus facilement adapter le processus BIM aux besoins parfois variables de l’utilisateur, tout en garantissant une qualité de travail constante des différents acteurs. »
Cette standardisation des processus BIM passera sûrement par « une base contractuelle des documentations pour faciliter le process BIM : le BIM Execution Plan », selon Yara Oweiss. Sur ce point Joao Figueiredo suggère démocratiser l’utilisation des contrats-types, avec les prestations de base et les prestations spécifiques possibles ». Mais pour en arriver là, il faudra d’abord satisfaire le très important besoin de formation des professionnels de la construction, et de formation concrète.
Plus de formations et d’investissements
« Le BIM n’est pas quelque chose qui se fait à vue de nez, il y a des rôles, des règles et des standards à respecter. » Joao Figueiredo raconte qu’à l’étranger, certaines formations peuvent induire en erreur : « On dit aux participants que le BIM management fonctionne tout seul grâce aux logiciels, mais ça ne correspond pas à ce qu’il se passe sur le terrain. Au Luxembourg, nous avons l’avantage d’avoir des formations moins théoriques, avec des professionnels qui viennent présenter des cas concrets et dans lesquels nous avons pu aborder les questions d’interopérabilité ou encore du format IFC (Industry Foundation Classes, ndlr). »
« Il ne faut pas oublier que cela est aussi une question d’investissement », rappelle Yara Oweiss, ce qui pourrait être une difficulté pour les plus petits bureaux. Mettre la main à la poche sera malgré tout nécessaire pour ne pas se retrouver exclu de certains marchés dans le futur. En effet, dans une Note d’intention du 24 mai 2023, « l’OAI recommande l’obligation du BIM, pour les membres OAI, dans tous les projets de construction soumis aux règles des marchés publics ». Car, comme l’affirme Paolo Dal Zotto, « les acteurs publics sont en première ligne pour permettre l’adoption rapide du processus BIM » et pour lui, « il faudrait que la législation établisse le plus rapidement possible un cadre normatif imposant l’utilisation du processus BIM en fonction de l’usage, de la taille des bâtiments et des exigences environnementales ».
Ce qui est déjà chose fait dans d’autres pays européens. Après avoir collaboré avec des bureaux allemands ou suisses, Yara Oweiss fait un constat : « Si on compare le Luxembourg à ses pays voisins, nous sommes vraiment en retard par rapport au BIM. Par exemple, un bureau suisse était surpris lorsque je leur ai demandé s’ils voulaient intégrer du BIM dans le projet, parce que pour eux, c’est une évidence. En Allemagne, le BIM est désormais obligatoire dans les marchés publics. »
Un besoin qui devient une nécessité
Le Luxembourg doit donc mettre les bouchées doubles pour se mettre à niveau, aussi et surtout parce que les acteurs de la construction n’auront bientôt plus le choix. En matière de circularité, la loi impose déjà la mise en place d’un inventaire électronique pour tous les bâtiments à déconstruire d’un volume bâti de plus de 1 200 m³ et produisant au moins 100 m³ de déchets. Cette obligation s’appliquera également aux bâtiments neufs de plus de 3 500 m³, pour toute autorisation de construire accordée à partir du 1er janvier 2025. Et quoi de mieux que le BIM pour réaliser cet inventaire ? « Le BIM sert à modéliser toutes les informations sur le bâtiment, ce qui est très utile pour accéder à toutes les données sur les matériaux ou encore les équipements qui le composent. »
En matière de consommation d’énergie aussi, « la maîtrise des données relatives à l’impact des installations techniques est primordiale pour atteindre les buts définis dans les législations qui vont bientôt se mettre en place dans le domaine des consommations énergétiques des bâtiments durant l’ensemble de leur cycle de vie et du confort thermique des occupants », ajoute Paolo Dal Zotto.
Pour conclure, selon les trois experts, la grande question que le secteur de la construction luxembourgeois doit se poser par rapport au BIM « n’est pas ‘Est ce qu’on le fait ou pas ?’ mais plutôt ‘Qu’est-ce qu’on fait ?’ et ‘Comment le fait-on ? ».
Léna Fernandes
Extrait du Neomag #66
Chaque édition du Mag OAI reprend une rubrique traitant de l’actualité du BIM. Les éditions précédentes peuvent être téléchargées dans la médiathèque du site www.oai.lu.