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Un hymne à la sobriété et à la justesse d'une conception raisonnée

Un hymne à la sobriété et à la justesse d’une conception raisonnée

L’habitation bioclimatique conçue par Caroline de Pérignon met à l’honneur la terre crue, un matériau ancestral réinterprété avec modernité, tout en intégrant des principes de conception sobres et réfléchis. Une vision architecturale qui conjugue harmonie avec la nature et réduction de l’impact environnemental.

Un projet ancré dans son territoire

« La maison où j’ai grandi avait un pignon en pisé de terre crue vieux de plus de deux siècles, et les bureaux que j’occupais comportaient un pignon en adobe de terre crue qui portait une charge lourde avec mezzanine. À partir de ce constat, je me suis intéressée à la terre crue pour bâtir » : ainsi s’exprime l’architecte française Caroline de Pérignon (La Maison Écologique, n°139, février-mars 2024) qui constate et regrette par ailleurs, à l’instar de nombreux d’entre nous au Grand-Duché, les va-et-vient constants de camions chargés à ras bord de terres d’excavation en provenance des chantiers. Des terres considérées comme « déchet », puisées, remuées et accumulées à nulle autre fin qu’être déplacées et réenfouies, la majorité du temps sans aucune forme de valorisation, alors qu’elles constituent un réservoir inépuisable de matière à « faire » et à « construire ». Des terres dont l’évacuation constitue un coût non négligeable.

Au cœur du midi toulousain, sur une ancienne parcelle agricole en forte déclivité, le territoire du Lauragais forme un écrin naturel à cette habitation de plain-pied partiellement enterrée, habitation qui concentre à elle seule le meilleur des préceptes du bioclimatisme : intégration du projet dans son contexte topographique, apports solaires passifs au travers d’amples ouvertures vitrées disposées au sud, généreuses en lumière naturelle, et surmontées du large débordement de la plateforme de toiture végétalisée afin de réduire les risques de surchauffe estivale, couloir de nage favorisant le rafraîchissement adiabatique, usage de matériaux sains à forte inertie thermique - enclins à élever le niveau de confort intérieur des occupants -, phytoépuration pour le système d’assainissement, déploiement de stratégies de ventilation naturelle, … comme un hymne à la sobriété et à la justesse d’une conception raisonnée.

Cette large ouverture au sud contraste avec les autres élévations, plus fermées, qui obturent des vues extérieures indiscrètes et apportent l’intimité nécessaire aux occupants, tandis que quelques ouvertures discrètes subsistent çà et là, notamment vers le patio intérieur qui propose un espace ventilé et frais en toutes circonstances durant l’été. La lumière naturelle, tout comme la nature, sont omniprésentes.

La terre comme point d’orgue de la réflexion architecturale

Le pisé de terre crue comme technique de construction est historiquement présent dans le Lauragais, mais les proches alentours ne permettaient pas de fournir une matière « prête à l’emploi » ; qu’à cela ne tienne, l’architecte Caroline de Pérignon décide de valoriser et d’utiliser directement les terres d’excavation de son projet. Elle fait procéder à la caractérisation des terres au laboratoire d’un cimentier local et fait appel à l’expertise technique de Martin Pointet du bureau BE Terre pour reformuler la composition de la matière première qui constituera le gros-œuvre. (Trop) riche en limons et sables fins, la « recette » devait être complétée de graves (sables et/ou graviers concassés en 0/20 ou 0/30 mm) et d’une terre argileuse ou d’un liant hydraulique afin de constituer une matière exploitable ; en finalité, ce pisé (ou béton de terre) non isolé comporte, en volume, 30 % de terres d’excavation de réemploi, 50 % de gravier calcaire, 10 % d’eau ainsi que 10 % de ciment à usage de stabilisation, cette recette équilibrée et « sécuritaire » permettant par ailleurs de valider l’assurabilité du mode constructif en restant dans le registre d’un béton, tout en ayant recours à 90 % de matériaux géosourcés locaux.

L’architecture maigre en murs de refends, riche en espaces amples et comportant une toiture-plateforme assez lourde a généré certaines charges ou concentrations de charges trop élevées pour être reprises par un pisé de terre conventionnel, justifiant d’autant plus cette stabilisation qui porte la résistance en compression de ce pisé stabilisé à 10 MPa, soit près de dix fois la valeur du pisé non stabilisé, explique Guillaume Niel du bureau d’études structure Terrell.

La mise en œuvre du pisé nécessite traditionnellement une main d’œuvre abondante et spécialisée qui induit des coûts d’exécution plus élevés, mais la véritable durabilité est à ce prix ; il faut également remarquer que la technologie du pisé confère aux constructions une multifonctionnalité intéressante dans le sens où participation au confort thermique, structure et finitions/parachèvements ne font qu’un, permettant une économie de matières, à l’instar d’autres matériaux pouvant être utilisés en usage monolithique comme la pierre, l’argile cuite ou encore le bois dans certains cas. La matière terre est abondante, recyclable et très souvent disponible dans un rayon convenable. La mise en œuvre s’est opérée de manière conventionnelle, le remplissage de matière s’effectuant graduellement entre banches, par tranches successives, jusqu’à réalisation de la hauteur souhaitée ; chaque strate est compactée à l’aide de fouloirs pneumatiques par les opérateurs qui contrôlent la bonne compaction et la conservation d’une hauteur de couche uniforme tout au long du process.

Un petit écrin de couleur ocre, qui fait corps avec son environnement sans s’y imposer de façon ostentatoire, qui répond assurément et à sa manière à nos enjeux actuels de décarbonation.

© Caroline de Pérignon, Atelier d’Architecture 319, et Régis Bigot – Architecte & Innovation Project Manager Neobuild GIE

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Publié le jeudi 30 janvier 2025
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