Une architecture de papier
Qui dit « papier » dit probablement plan plutôt que bâtiment ;si l’on en souffle sous forme de ouate de cellulose à des fins d’isolation depuis un siècle, si l’architecture traditionnelle japonaise en use pour les shōji, si nous le rencontrons également sous forme de pare-vapeur, rares sont les applications du papier et de ses dérivés en construction.
Cette matière, disponible en très grandes quantités à travers le monde entier et assez facilement collectable et recyclable, ouvre cependant la porte vers de nouveaux horizons comme nous le démontrent les quelques exemples de projets et de produits ci-après.
Le projet PH-Z2, Essen, par Dratz & Dratz Architekten
275 tonnes de vieux papiers et cartons sur le site de Zollverein à Essen et « PH-Z2 » pour « PapierHaus-Zukunftsweisend2 », voici le projet qui remportait en 2007 un concours pour la conception de constructions temporaires pour abriter des start-up. Avec des matériaux d’emballage en provenance de supermarchés, collectés et compressés sous forme de balles ou « bottes » comme pour la paille, les architectes de Dratz & Dratz avaient imaginé et dressé une sorte de mastaba (sépulture égyptienne construite hors-sol) à partir de 550 balles d’une demi-tonne et de 80 cm d’épaisseur chacune. Avant d’entamer leur fin de vie et leur phase de recyclage, ces vieux emballages amorcent ainsi une existence éphémère et transitoire des plus utile.
Le projet culmine à 6 m de hauteur, s’étend sur une surface de 185 m2 et sert d’espace événementiel pour la tenue d’expositions, de conférences de presse ou de concerts ; les balles de vieux papiers et cartons présentent des capacités d’absorption acoustique très élevées et une texture unique – et ceci dit, une esthétique qui n’est pas inintéressante ; avec un compactage élevé, l’oxygène « piégé » dans les balles de papier se raréfie et le niveau de résistance au feu devient appréciable ; ces balles sont intercalées dans une structure plus classique en bois, subtilement dissimulée, qui supporte 40 % des sollicitations statiques.
Ce projet questionne sur les modes de consommation de notre société et l’efficience (ou non) avec laquelle elle s’acquitte du traitement des déchets : comment utiliser au mieux tous ceux-ci puisqu’ils doivent de toute manière être considérés ? Au début de ce projet, les architectes ont récupéré ces papiers et cartons et les ont compressés avec une presse manuelle et sans aucunes valeurs caractéristiques de référence, ils ont dû « explorer » par eux-mêmes ; une demande de brevet a été introduite et le développement s’est poursuivi pour améliorer la stabilité des balles et leur manuportabilité ; aujourd’hui, les architectes qui ont en grande partie financé ce projet imaginent développer le produit en une variante de substitution aux cloisons légères en plâtre.
La cathédrale de carton (cardboard cathedral), Christchurch, Nouvelle Zélande, par Shigeru Ban
Autrefois s’élevait à Christchurch une cathédrale anglicane de style néogothique datant de 1864. À la suite d’un tremblement de terre de magnitude 6,3 ravageant la ville entière à l’hiver 2011, suivi de plusieurs répliques, la cathédrale perdit successivement sa flèche puis sa rosace, pour être finalement contrainte à la démolition ; une commande pour la construction d’une bâtisse temporaire (avec une durée de vie de 50 années) fut décidée et confiée à l’architecte japonais Shigeru Ban, internationalement reconnu pour le développement de constructions temporaires et pour son affection envers les structures éphémères et légères – en papier et carton notamment.
À l’image des « A-frame houses » qui font le succès de l’auto-construction d’habitations en bois aux États-Unis, la charpente de la cathédrale de carton, qui s’élève à une hauteur de 21 m au-dessus du niveau du sol, est construite selon une structure « en A » à l’aide de 98 tubes de carton de diamètre identique (60 cm), de bois, d’acier, et de 8 conteneurs maritimes qui constituent les murs sous-jacents et qui « bloquent » statiquement l’ouverture de la charpente. Chaque tube de papier est recouvert d’une couche de polyuréthane imperméable et de produits ignifuges, et protégé par un toit en polycarbonate semi-transparent. L’architecte Shigeru Ban qui développe et utilise les tubes recyclés comme matériau de construction pour les secours d’urgence depuis 1986, a déclaré : « la solidité du bâtiment n’a rien à voir avec la solidité du matériau ; même les bâtiments en béton peuvent être détruits très facilement par des tremblements de terre, mais pas les bâtiments en papier ».
L’architecte voulait que les tubes de carton soient les éléments structurels, mais les fabricants locaux n’ont pas pu produire des tubes suffisamment épais et l’importation de carton a été rejetée, raison pour laquelle il a fallu procéder à un renforcement des tubes à l’aide de poutres en bois stratifié ; avec des espaces de deux pouces entre les tubes, la lumière se glisse et illumine naturellement l’intérieur de la cathédrale. Au lieu d’une rosace de remplacement, on a doté le bâtiment de vitraux triangulaires contemporains. Le bâtiment qui peut accueillir environ 700 personnes sert aujourd’hui à la fois de lieu de conférence et de lieu de culte.
Quelques produits à explorer : des briques de papier…
En 2004, la start-up américaine BetR-blok est née à partir d’un organisme de recherche à but non lucratif, le CABS (Center for Alternative Building Studies), avec pour fonction la recherche autour de matériaux de construction alternatifs durables. Le BetR-blok, littéralement « better block », est fabriqué à partir de papier recyclé et d’autres matériaux cellulosiques, et ses composants sont compressés.
Autre exemple avec et l’entreprise anglaise Econovate et son Econoblock composé de papiers et de cartons recyclés liés au ciment. Avec une résistance en compression annoncée à 7 MPa à 28 jours, ces parpaings de papier peuvent assumer des fonctions portantes tout en se révélant très légers et faciles à poser puisqu’ils se mettent en œuvre comme un bloc classique. La consistance et la compacité des blocs permettraient à ceux-ci de se passer de toute substance additionnelle, tant pour satisfaire les exigences de résistance au feu que celles relatives aux assauts de rongeurs.
Des systèmes de construction en papier : Ecocell et Batipac
Certifié par la Fondation Solar Impulse, Ecocell est un système constructif développé à Uttwil en Suisse, basé sur le recyclage des déchets de papier et de carton - en particulier du carton ondulé, matière facilement disponible à l’échelle mondiale ; un processus de revêtement minéral breveté « pétrifie » la structure alvéolaire cartonnée en nid d’abeille et rend ce matériau de construction résistant au feu tout en lui conférant d’excellentes propriétés d’isolation thermique. En combinaison avec des panneaux en bois ou d’autres matériaux disposés de part et d’autre de cette structure alvéolaire, on obtient des éléments de construction standardisés de type « sandwich » isolants, très résistants mais également très légers qui aboutissent au système de construction rapide développé par Ecocell. Préfabriqués avec une précision millimétrique, ces éléments standardisés (porteurs ou non) de mur, de plancher ou de toiture sont dotés de goupilles de verrouillage qui permettent d’emboîter les différents éléments pour construire des bâtiments complets, presque entièrement opérationnels, en quelques heures seulement et avec une facilité de montage éprouvée. La solution développée par Ecocell Technology AG a reçu le GreenTec Award 2016 et le prix suisse de l’innovation IDEE-SUISSE Award 2018.
Du côté de nos voisins français, Batipac adopte une approche similaire de recyclage du carton en y adjoignant une composante sociétale au travers de l’inclusion par l’emploi, la production étant confiée à des personnes en situation de handicap et/ou en mal d’insertion sociale. Après tri et collecte, le carton est réutilisé pour fabriquer un matériau similaire en carton ondulé (feuille cannelée prise en sandwich entre deux feuilles planes) ; plusieurs tranches de carton ondulé sont assemblées entre elles par collage pour constituer le corps du panneau autoportant dénommé IPAC®, qui sera entouré d’une membrane étanche de type Akylux® (polypropylène recyclé et recyclable) ou Benjamin (carton recouvert d’un pelliculage en polyester recyclable). En fin de vie, lors de la déconstruction, les panneaux sont démontés et simplement renvoyés vers le centre de tri et de recyclage. Les panneaux autoportants IPAC® sont destinés à être insérés dans une ossature/structure classique en bois, entre montants verticaux ou gîtages. Il est dès lors possible de concevoir des murs, cloisons, éléments de doublage isolants, planchers ou éléments de toiture avec des épaisseurs comprises entre 46 et 249 mm.
Régis Bigot, Architecte &Innovation Project Manager Neobuild GIE
Extrait du NEOMAG#62