Interview d’Ariane Bouvy et Patty Koppes, gestionnaires de projets circulaires à la commune de Wiltz
Quel est le point de départ du travail sur l’économie circulaire mené à Wiltz ?
Ariane Bouvy : Le hotspot en économie circulaire est né de la nécessité de réfléchir sur le sujet au niveau national et de mettre en place des actions au niveau communal. Les ministères compétents à l’époque (en 2015) et la commune se sont accordés pour se lancer dans le contexte spécifique de Wiltz où une croissance importante de la population se profilait requérant la création de logements, d’infrastructures et de commerces. Nous voyions alors déjà les limites du modèle linéaire qui consistait à construire des bâtiments non modulables et qui se dégradaient rapidement dans le temps. Le parti pris politique a alors été de s’appuyer sur les principes de l’économie circulaire pour développer la ville de manière structurée, résiliente et socialement équitable.
Comment cette volonté se traduit-elle ?
AB : En avançant projet par projet. En nous lançant dans le premier projet, nous avons constaté que, pour travailler sur un sujet aussi vaste que l’économie circulaire, il nous fallait définir un cadre et des axes de travail. C’est pourquoi nous avons établi une stratégie qui se décline en 5 piliers et plusieurs outils internes, notamment des standards et des checklists. Cela nous permet de mesurer notre progression en nous référant à des actions et objectifs spécifiques communs. Entre notre premier projet (la rénovation de l’hôtel de ville, en 2016) et le projet suivant (la création du campus éducatif GeenzePark, en 2018), nous avons gagné en clarté et en précision dans la définition de nos objectifs. Derrière les projets réalisés, il y a tout un travail de structuration qui consiste à fixer une grille d’objectifs, réfléchir à la manière de les traduire dans les bordereaux, de les mettre en œuvre dans les missions des architectes et des entreprises, et les suivre à mesure que le projet avance.
Pouvez-vous nous donner plus de détails sur votre stratégie ?
AB : La base est notre charte en économie circulaire, rédigée en 2018, puis revue et revotée par le conseil communal en 2022. Elle reflète l’engagement politique à réaliser des actions en matière d’économie circulaire, dont fait notamment partie la création du Circular Innovation Hub, en 2020. Derrière cette charte se décline notre plan d’action en cinq piliers, par exemple : sur le pilier « bien-être », on peut travailler sur les polluants, mais aussi sur le confort des utilisateurs car un bâtiment agréable à vivre sera utilisé plus longtemps, et sur le pilier « biodiversité », on peut agir sur le microclimat en plantant des arbres pour apporter de l’ombrage ou en créant des zones de stockage d’eau pour rafraîchir naturellement le site en été. Nous avons aussi établi des classifications pour mesurer la « circularité » de nos actions.
Qu’est-ce que cela donne, appliqué à un projet ?
Patty Koppes : Pour le campus Geenzepark, cette méthodologie nous a permis d’analyser un catalogue d’actions qui découlent de l’idéal que nous nous étions fixés. Nous avons dû abandonner certaines actions que nous avions envisagées : par exemple, nous n’avons pas installé l’éclairage « as a service » car ce n’était pas adapté, … et comme les infrastructures avoisinantes du campus ne sont pas encore terminées, les mesures en termes de mobilité et d’accessibilité n’ont pas encore pu être mises en œuvre. Mais grâce au suivi des actions, nous ne nous éloignons pas des objectifs de départ et nous pouvons évaluer l’énergie et l’argent qu’il reste à engager pour les atteindre.
Qu’est-ce que le fait d’avoir une équipe économie circulaire interne à la commune change dans l’approche du travail de conception des bâtiments et des quartiers ?
AB : C’est nous qui définissons les grandes lignes, en nous basant sur notre stratégie. Nous les transmettons ensuite à l’équipe de projet pour qu’elles y soient intégrées.
Avoir une expertise interne demande beaucoup de temps et de travail, et nous nous rendons bien compte que toutes les communes n’ont pas les ressources nécessaires pour en développer une. C‘est pourquoi un outil tel que le BauCheck, développé par la Klima-Agence en collaboration avec Wiltz et d’autres communes, apporte une vraie plus-value et un soutien pour les autres communes. Il s’agit d’une checklist que toutes les communes peuvent utiliser pour encadrer leurs projets de construction et de rénovation. Elle leur donne un langage commun, leur permet d’harmoniser leur travail sur la circularité et de reprendre en main cette question dans leurs projets sans dépendre du bureau d’études mandaté pour la traiter.
La checklist est large pour ne pas rester biaisé sur un point de vue. Certains vont, en effet, approcher cette thématique sous l’angle des matériaux, d’autres sous l’angle de la mobilité, de l’énergie ou de la décarbonation en fonction de leur sensibilité, alors que tous ces enjeux sont liés et qu’il faudrait plutôt définir les axes de travail en fonction du projet. Par exemple, pour le campus Geenzepark, nous avons ciblé la santé parce qu’il est destiné à des enfants, qui sont vulnérables.
Vous avez donc aussi vocation à faire des émules dans d’autres communes ?
AB : C’est la casquette du Circular Innovation Hub que de créer un maximum d’échanges avec les autres communes. L’idée du hotspot n’est pas de démontrer que la commune de Wiltz fait mieux que les autres, mais de tester les limites, de voir ce qui fonctionne ou non, puis de partager cette expérience avec les autres acteurs.
Comment la collaboration avec la maîtrise d’œuvre se passe-t-elle ?
AB : Nous mettons parfois dans nos cahiers des charges des conditions que les bureaux d’études ou les entreprises peuvent avoir du mal à interpréter. Dans ce contexte, il est important que nous restions présents tout au long du processus pour réfléchir et discuter ensemble. Une bonne collaboration, un bon fonctionnement et des objectifs bien définis sont primordiaux. Nous devons aussi nous entourer des bons intervenants. Par exemple, pour le campus Geenzepark, nous avons travaillé avec Ralph Baden, expert en biologie des bâtiments et en santé, car, si des solutions avancées existent dans certains domaines, le marché reste encore jeune sur d’autres aspects, comme la santé.
Ce cadre expérimental et ce fonctionnement en équipe momentanée incitent les entreprises à se dépasser pour proposer un produit ou une mise en œuvre conforme à notre cahier des charges et permet donc l’émergence de nouvelles solutions et de nouvelles méthodes de travail, tout en nous permettant de tester les limites du projet. C’est une opportunité de progresser ensemble.
C’est aussi l’avantage des projets publics que d’avoir des objectifs plus élevés et différents de ceux qu’on peut avoir dans un projet privé où on cherche la rentabilité, la plupart du temps. Notre objectif principal est ici de répondre aux besoins des citoyens.
Mais aller plus loin, tester diverses possibilités, représente un effort supplémentaire. Pour avoir assez de temps, d’énergie et d’investissement pour le faire, il vaut mieux se concentrer sur quelques points spécifiques, les pousser jusqu’au bout, en tirer un apprentissage et les intégrer en tant que standards dans des projets futurs, où d’autres aspects pourront être explorés à leur tour.
C’est ce que vous avez fait sur les deux premiers projets : vous focaliser sur des objectifs pour le premier que vous avez standardisés dans le second ?
Patty Koppes : Pour la rénovation de l’hôtel de ville, nous souhaitions intégrer un maximum d’aspects en économie circulaire. Nous en étions alors encore au stade où nous essayions de comprendre la thématique et de définir par où commencer. L’idée s’est clarifiée au cours du projet et nous avons finalement choisi de travailler sur la récupération d’un maximum d’éléments et sur des petites solutions comme le robinet qui compose de l’eau filtrée et de l’eau pétillante pour limiter l’utilisation de bouteilles en plastique, mais aussi sur un choix de matériaux de construction sains, écologiques et/ou renouvelables comme des dalles de moquettes remplaçables, un enduit en argile et chaux, des sols en parquet massif, etc. À travers ce projet, nous avons appris l’importance de définir une direction claire.
Pour le campus, la priorité était, dès le début et de manière assez évidente, la qualité de l’air intérieur. Et puis, en fonction du bâtiment, de ses besoins et de son potentiel, nous avons ajouté la flexibilité : nous voulions donc créer une structure durable dans le temps parce qu’il s’agit d’un bâtiment public, mais avec un aménagement intérieur adaptable et une façade modulable. Le troisième axe que nous avons défini pour minimiser notre impact sur l’environnement est le choix de matériaux dits écologiques.
Mélanie Trélat
Extrait du Neomag#63