Indispensable mais insaisissable : le BIM pour la construction circulaire
Cet article présente une recherche menée à l’Université du Luxembourg sur la circularité (numéro de subvention FEDER 2017-02-015-15), la numérisation et les banques de matériaux dans l’industrie de la construction, en s’appuyant sur les réflexions des chercheurs de huit pays dont le Luxembourg, la France et l’Allemagne.
Article d’Arghavan Akbarieh, chercheuse post-doc, Université de technologie d’Eindhoven (TU/e)
La numérisation a été unanimement considérée comme un pilier non négociable de la construction circulaire en raison de l’importance et de la quantité des données nécessaires à la mise en œuvre efficace des pratiques circulaires. Sans outils numériques robustes et interopérables, la déconstruction, la conception de projets à l’aide d’éléments de réemploi et l’évaluation des performances des matériaux récupérés sont difficilement imaginables. Il est intéressant de noter que les résultats de l’étude ont mis en évidence un décalage entre le potentiel des technologies existantes et leur adéquation/utilisation pratique sur le terrain. Ceci faisant émerger deux thématiques clefs : d’une part la capacité numérique et d’autre part la culture numérique, toutes deux reliées à deux causes sous-jacentes : des besoins numériques non satisfaits et une numérisation mal comprise.
L’un des principaux paradigmes de la construction numérique est la méthodologie BIM elle-même. De manière surprenante, les résultats de l’étude ont révélé que non seulement le BIM n’est pas utilisé sur le terrain lorsqu’il s’agit de récupérer des matériaux, mais également que les outils du BIM ne sont pas jugés utiles pour aider aux pratiques de circularité. Cela va à l’encontre de la recherche universitaire de pointe, qui préconise le BIM 8D pour les études de cycles de fin de vie (EoL). De nombreux travaux universitaires ont démontré avec succès que la méthodologie BIM est adaptée aux process de déconstruction numérique, de diagnostic numérique des banques de matériaux ou de conception à l’aide d’éléments de réemploi. Par conséquent, la question n’est pas de savoir s’il est possible d’utiliser des outils de gestion/conception circulaires basés sur le BIM, mais pourquoi ils ne sont pas plus répandus sur le terrain.
D’un côté, les solutions BIM existantes n’intègrent pas de propriétés spécifiques à l’EoL, au réemploi ou à d’autres informations liées à la circularité, c’est pourquoi des ajustements et une modélisation supplémentaire des informations sont nécessaires (par exemple, via Dynamo pour Revit) pour prendre en compte les informations spécifiques à la circularité. De nombreux progrès ont été réalisés au cours des deux dernières années pour combler cette lacune grâce aux solutions OpenBIM. Cependant, elles requièrent un niveau plus élevé de compétences numériques et de connaissances BIM, ce qui pose un défi pour une adoption généralisée par le secteur, en particulier auprès d’acteurs émergents tels que les banques de matériaux ou les cabinets de conseil en matière de circularité.
Malgré l’énorme potentiel du BIM, son application pratique reste limitée, principalement en raison de besoins numériques non satisfaits et d’une faible culture numérique chez les praticiens
De l’autre côté, les inventaires de matériaux de remploi varient constamment. Les petites banques de matériaux ont du mal à enregistrer les informations sur les articles récupérés en temps voulu en raison du taux de rotation rapide. La création de représentations numériques détaillées, telles que des objets BIM 3D, prend du temps et est difficile à maintenir avec de tels taux de rotation. Cependant, les résultats ont révélé que certaines banques de matériaux réalisent des représentations d’objets à la demande des clients. D’après leur expérience, le fait de disposer d’un jumeau numérique de l’élément de remploi améliore leur intégration à l’aide des outils de conception, ce qui accroît le potentiel de commercialisation et de revente du jumeau physique. En raison des défis susmentionnés, les acteurs émergents ont indiqué qu’ils dépendaient encore de tableurs de données, de documents papier et de photos pour l’enregistrement et l’échange d’informations. Même s’il est plus facile, moins coûteux et plus rapide de développer un MVP (Minimum Viable Product) avec un tableur, cela entraîne deux risques : le premier serait d’avoir à l’avenir un paysage fragmenté avec des acteurs ayant formulé leurs propres hiérarchies d’informations circulaires non normalisées et non interopérables, le second étant d’entraver la transition vers des approches normalisées plus numériques.
Un autre thème clé est la faible culture numérique dans le domaine de la construction, qui contribue à des malentendus concernant les outils numériques requis. Par exemple, certains pensent encore que le BIM est un logiciel spécifique alors que d’autres s’attendent à ce qu’un seul outil résolve tous les défis existants – depuis le chantier jusqu’au bureau. De telles idées conduisent à une perte de confiance dans le pouvoir de transformation du BIM, faisant de lui un outil inutile ou redondant. Cependant, compte tenu de la nature complexe des projets de construction, en particulier à l’heure où la circularité fait encore l’objet de recherches et de développements, de telles attentes sont à la fois irréalistes et erronées. Le développement d’un outil universel pourrait être un processus de longue haleine. Sans une plus grande culture numérique et l’utilisation de structures de données standardisées et interopérables, les mêmes acteurs qui se méfient du BIM pourraient ne pas être en mesure d’adopter cet outil universel. À cet égard, il est impératif de renforcer les formation et éducation continues. En comprenant les capacités du BIM en tant qu’outil méthodologique, les utilisateurs pourront reconnaître l’efficacité à utiliser différents outils à des fins différentes.
En conclusion, les outils numériques sont et seront essentiels dans le développement de la construction circulaire. Malgré l’énorme potentiel du BIM, son application pratique reste limitée, principalement en raison de besoins numériques non satisfaits et d’une faible culture numérique chez les praticiens. Pour résoudre ces problèmes, il faut continuer à améliorer la formation et la compréhension des capacités du BIM, en encourageant l’utilisation de divers outils.
Textes et illustrations : ©Arghavan Akbarieh - Université de technologie d’Eindhoven
Traduction, adaptations et relecture : Régis Bigot - Neobuild GIE