Natur auf Zeit : simplification administrative et sécurité juridique
Ecologie et biodiversité sont au centre des débats politiques et donnent lieu à d’importantes controverses. Les émissions de CO₂ liées aux activités humaines ont visiblement porté préjudice à la nature, causant l’extinction de diverses espèces d’animaux mais aussi le réchauffement climatique.
Nombre d’États, dont le Luxembourg, se sont engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique en encadrant l’activité économique et industrielle par des lois et des réglementations strictes, souvent dictées par le droit européen. On peut constater dans ce contexte que d’après les chiffres annoncés, plus de 27 % de la surface du territoire national luxembourgeois sont actuellement protégés sous le statut de zone Natura 2000, contre une moyenne européenne de l’ordre de 18 %.
Justement, vient d’être adopté au niveau européen le règlement relatif à la restauration de la nature, qui obligera les États membres de l’Union européenne à restaurer graduellement les habitats en mauvais état, sachant que d’après l’état des lieux actuel plus de 80 % des habitats européens seraient en mauvais état.
En même temps, au niveau national les dispositions de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles s’appliquant spécifiquement à des terrains à l’intérieur ou à proximité des zones urbaines, déjà urbanisés ou destinés à être urbanisés, ont fait l’objet de critiques pour être trop contraignantes et pour créer des obstacles matériels et financiers à un développement de ces terrains.
Le gouvernement ayant annoncé par le dépôt du projet de loi n°8308 en date du 13 septembre 2023, donc encore avant les élections parlementaires d’octobre 2023, des modifications de la loi précitée, dans l’introduction d’un principe « Natur auf Zeit », ou « nature temporaire », impliquant qu’aucune compensation ne sera requise pour la création de nouveaux habitats ou de biotopes, par abandon ou gestion spécifique, s’il se situe sur des terrains urbanisés ou destinés à être urbanisés.
Définition de la notion « Natur auf Zeit »
Le principe de « Natur auf Zeit » se base sur une différenciation entre les zones vertes, qui sont sujettes à des restrictions fondamentales en ce qui concerne leur utilisation, et les zones qui sont destinées à être urbanisées. Ces zones qui sont destinées à être urbanisées sont donc susceptibles de connaître des dérogations substantielles par rapport à la protection stricte qui est prévue pour les zones vertes. En langue allemande, on parle aussi de « Zwischennutzung » (utilisation intermédiaire) qui permet d’utiliser temporairement une parcelle encore non construite pour stimuler la biodiversité sans que cela n’empêche de poursuivre, ultérieurement, des projets de développement. Autrement dit, les propriétaires et les utilisateurs de terrains éligibles peuvent mettre temporairement leurs parcelles à disposition de la nature aussi longtemps que ces terrains ne sont pas utilisés à d’autres fins.
Même si le concept de nature temporaire semble être une innovation adaptée pour assurer un équilibre entre les intérêts des propriétaires et la protection de la nature, il ne manquera pas de susciter des débats quant à son application pratique.
Ainsi, certains craignent que, par l’attractivité des zones de nature temporaire, des espèces soient d’abord attirées et puis endommagées lorsqu’un biotope une fois créé est détruit dans le cadre du développement du site, et qu’uniquement les espèces très mobiles auraient la capacité de se déplacer par la suite.
De l’autre côté, l’application du principe de « Natur auf Zeit » permettrait non seulement de créer plus de sécurité juridique pour les propriétaires des terrains concernés, mais aussi l’amélioration de la diversité écologique, favorisant la biodiversité et le microclimat urbain. Cela peut également emporter des avantages sociaux en offrant un encouragement des projets communautaires comme des jardins urbains ainsi qu’une certaine flexibilité par rapport aux adaptations rapides aux changements des besoins urbains. De plus, l’implémentation d’un tel projet permettrait une protection du climat, ayant un effet régulateur pour le moins temporaire sur la température en milieu urbain, ce qui devient de plus en plus important.
L’exemple de l’Allemagne
Le Luxembourg ne serait pas le premier pays dans l’Union européenne à adopter le mécanisme de « Natur auf Zeit ». En effet, l’Allemagne et les Pays-Bas l’ont déjà intégré dans leurs législations.
En Allemagne, au niveau fédéral une modification du § 1 du Bundesnaturschutzgesetz (BnatSchG) par l’ajout d’un paragraphe (7) prévoit dorénavant que « Les objectifs de protection de la nature et d’entretien des paysages peuvent également être servis par des mesures qui n’améliorent l’état des biotopes et des espèces que pour une période limitée, par l’utilisation, l’entretien ou la possibilité d’une succession non dirigée sur une surface. »
Aussi, le paragraphe (3) du § 3 du BNatSchG prévoit « qu’en ce qui concerne les mesures de protection de la nature et d’entretien des paysages, il convient d’examiner en priorité si l’objectif peut être atteint à un effort raisonnable par des accords contractuels ».
Différents états fédéraux ont déjà suivi, comme par exemple la Rhénanie du Nord-Westphalie qui a incorporé le concept « Natur auf Zeit » dans son § 30 Abs. 2 Nr. 3 du Landesnaturschutzgesetz, selon lequel ne constitue pas une atteinte à la nature et au paysage : « La suppression de biotopes créés par la succession ou l’entretien, ou la modification de l’aspect du paysage sur des surfaces qui ont été légalement utilisées dans le passé à des fins de construction ou de circulation, en cas de début d’une nouvelle utilisation ou de reprise de l’ancienne (nature temporaire) ».
Législation luxembourgeoise et objectifs
C’est notamment la loi du 18 juillet 2018 relative à la protection de la nature et des ressources naturelles qui règle la question de la protection des biotopes au Luxembourg. Dans cette loi figurent les principes comme l’interdiction de détruire sans autorisation assortie de conditions des biotopes ou des habitats, ainsi que la protection particulière des espèces et l’obligation de compensation qui existaient déjà depuis la loi du 19 janvier 2004. Comme il a déjà été relevé, le projet de loi n°8308 devant modifier la loi précitée vise à « alléger ou accélérer un certain nombre de procédures d’autorisation », « augmenter la sécurité juridique dans le cadre des procédures d’autorisation », « favoriser et promouvoir les éléments écologiques au sein des zones urbanisées respectivement dans leur proximité », et « promouvoir le rapprochement entre les projets causant les destructions de biotopes avec leurs mesures compensatoires prescrites ».
Ainsi, un ajout à l’article 17 est proposé prévoyant que « Ne sont pas considérés comme biotopes protégés, les biotopes nouvellement créés ou générés par une mesure ciblée, par une gestion spécifique ou par un abandon de gestion, s’ils sont situés sur des terrains compris dans une zone urbanisée ou destinée à être urbanisée selon un Plan d’aménagement communal dûment approuvé au moment de la signalisation à l’Administration de la nature et des forêts de l’intention de créer ou générer ces biotopes. »
Au moment de la rédaction de cet article, le projet de règlement grand-ducal prévu pour fixer le cadre et les modalités d’application de cette disposition n’a pas encore été rendu public ; il est évident que ce projet sera d’un grand intérêt pour les administrations et les praticiens, de sorte qu’il sera utile de la saluer en parallèle au processus législatif relatif au projet de loi n°8308.
Me Mario Di Stefano, Managing Partner – Avocat à la Cour, DSM Avocats à la Cour
Extrait de Neomag #65