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La logistique de chantier comme levier de productivité
En France, le projet BTP Log 4.0 développe des standards logistiques pour les chantiers urbains en intégrant terrain, lean et digital. Le Luxembourg, propice à cette logistique mutualisée, permet d’optimiser les approvisionnements, d’améliorer la performance des chantiers et de réduire l’empreinte environnementale.
Article IMMA logistique mutualisée
Un chantier bien mené est un chantier préparé, notamment sur le plan organisationnel : coordonner les intervenants, anticiper et gérer les coactivités, faire le plan d’installation de chantier (PIC), clarifier les rôles et les limites de responsabilité… Pourtant cette préparation de l’exécution n’aborde généralement que peu les questions de logistique amont et intra chantier. Quand c’est le cas, c’est souvent du fait de fortes contraintes d’accès, réglementaires ou que l’on doit sécuriser un approvisionnement critique.
Préparer son chantier, préparer la logistique
Où stocker durant chaque phase ? Comment opérer le déchargement et la manutention jusqu’à la zone de stockage et la zone d’œuvre ? Comment éviter que 4 camions arrivent en même temps pour décharger et bloquent le quai puis encombrent les zones de travail ? Comment sécuriser les approvisionnements critiques ? Comment partager ces informations au démarrage puis durant les travaux ? Qu’est-ce que cela va coûter ? Qu’est-ce que cela va rapporter ? « Qu’est-ce que » plutôt que « combien » car il ne s’agit pas que d’argent, mais aussi d’accidents de travail et de pénibilité (environ 60% des accidents de travail sont liés aux déplacements et à la manutention, selon la Caisse Nationale d’Assurance Maladie française), de nuisances aux compagnons et aux riverains, d’empreinte environnementale (CSRD !) et de temps… beaucoup de temps.
Suivi des commandes, livraisons et stocks, gestion des conflits, des oublis, manutentions multiples (une même palette peut être déplacée jusqu’à 7 fois sur un chantier alors que l’on manque de bras et de têtes formés aux travaux), notre filière peine à recruter et les chantiers sont notoirement en retard. On continue à demander à des carreleurs, plaquistes ou plombiers de déplacer à la main des palettes de sacs d’enduit du RDC au R+4 par les escaliers plutôt que de se concentrer sur leur cœur de métier et sur la création de valeur, alors qu’il est aisé et rentable de mécaniser la manutention et de recourir à des personnes formées et équipées à la logistique (avec moins d’accidents et de pénibilité).
L’utilisation d’un Centre de Consolidation de la Construction (CCC) permet d’approvisionner les chantiers en flux tirés d’un planning travaux takté1 et géotemporel, en minimisant les stocks sur site et le nombre de camions à décharger, tout en sécurisant les plannings et en maîtrisant des coûts logistiques trop souvent cachés.
Les relevés terrain et études de l’IMMA et du LIST montrent qu’un compagnon marche 20 à 30 % de son temps de travail, soit 8 à 10 km/jour. La main d’œuvre représentant environ 40 % du coût global d’un projet, cela signifie qu’en moyenne 10 % du budget couvre des déplacements sur le chantier. Bien sûr, une part importante de ces déplacements est nécessaire. Cependant on peut affirmer qu’en éviter un maximum et améliorer l’organisation logistique des chantiers constituent de réels enjeux. Au-delà de s’interroger sur ces différents points, il s’agit de voir comment ils sont reliés et comment agir.
Nos observations sur le terrain nous ont amenés à mettre en place des dispositifs logistiques mutualisés sur des chantiers de toutes tailles avec des résultats probants, reproductibles et rentables. On revient à « qu’est-ce cela rapporte ? » avec, cette fois-ci, des économies de temps, de stress, de délais d’exécution, de matériaux, d’émissions de CO2 et de nuisances, au bénéfice de tous.
Passer d’un poste de dépense à un levier de rentabilité
Pour pérenniser ces résultats, il faut faire évoluer l’organisation de la filière du BTP. Des collectivités publiques et aménageurs, jusqu’aux entrepreneurs, industriels et distributeurs, en passant par les architectes et bureaux d’études, chacun doit s’emparer du sujet selon son rôle et ses missions pour faire évoluer les pratiques, passer d’un mode contraint à une organisation volontaire, maîtrisée, gagnant en efficacité au fil des chantiers menés avec les partenaires.
C’est dans cet esprit que le projet collaboratif BTP Log 4.0 a été lancé fin 2023 par IMMA, pionnier du lean construction, l’éditeur logiciel Teamoty et le conseil en logistique de chantier Balme Conseil.
Définir les standards sur le terrain : la démarche Pionnier
Soutenu par l’ADEME, l’agence française de la transition environnementale, ce grand projet (7 millions d’euros sur 5 ans) vise à faire travailler ensemble les acteurs de la filière sur des chantiers réels et à faire émerger les standards logistiques de la construction, tant opérationnels, contractuels que numériques.
Ce dernier point est fondamental car il doit permettre de synchroniser et d’automatiser les flux (achats, commandes, livraisons, traçabilité et reporting) tout le long de la chaîne et pour l’ensemble des projets. C’est aussi l’opportunité d’intégrer efficacement les flux du hors-site, de réemploi et de valorisation des déchets pour lesquels une part importante des coûts provient du transport et du stockage.
Au final, tout cela concourt à ce que les projets se déroulent plus sereinement, en évitant congestion du trafic aux abords, nuisances aux riverains, retards, surcoûts… et en contribuant à maximiser les taux de valorisation des déchets et à réduire les coûts liés au réemploi.
Plusieurs projets pionniers sont d’ores et déjà actifs en France et à l’étranger. à l’initiative d’un aménageur ou d’une entreprise générale, un diagnostic du projet de construction et de l’environnement du site est réalisé par IMMA et ses partenaires, suivi de la concertation et du déploiement d’un dispositif logistique : moyens matériels et humains communs, process simples, outil logistique digital alignant les acteurs..., on anticipe pour ne pas subir. Au Luxembourg, des opérateurs logistiques sont identifiés, des porteurs de projets ont manifesté leur intérêt, tout est en place pour passer à l’action !
Etienne Fradin-Beaugerie, directeur du projet BTP Log 4.0 et directeur de l’activité Supply Chain de la construction à l’IMMA
Article paru dans Neomag #68 - janvier 2025