
Sécuriser l’approvisionnement en eau potable : l’expertise de BEST
Le service Eau potable de BEST Ingénieurs-Conseils élabore, pour les opérateurs communaux et syndicaux, des infrastructures optimisées qui allient diversification des ressources, efficacité énergétique, technologies éprouvées et traitements innovants, afin de renforcer la résilience nationale en matière d’approvisionnement en eau potable.
Interview de Laurent Busana, ingénieur associé-gérant et chef du service eau potable, et Philippe Colbach, ingénieur et chef de service adjoint, chez BEST Ingénieurs-Conseils.
Quelles sont les expertises regroupées au sein de BEST Ingénieurs-Conseils dans le domaine de l’eau potable ?
Philippe Colbach, ingénieur et chef de service adjoint : BEST Ingénieurs-Conseils est un groupe pluridisciplinaire qui réunit près de 190 collaborateurs spécialisés dans divers domaines, dont neuf ingénieurs au sein du service Eau potable. Notre bureau d’études rassemble des expertises complémentaires en génie civil, mécanique, physique, électricité, géologie, géographie, biologie, chimie et environnement.
Cette diversité de compétences nous permet d’assurer une couverture complète de l’ensemble du cycle de l’eau, depuis son captage jusqu’à son rejet dans les égouts. Nous intervenons à chaque étape : pompage, transport, stockage et distribution pour le consommateur final.
Nous concevons les infrastructures et ouvrages d’approvisionnement en eau potable, notamment dans le cadre de l’extension des réseaux de distribution, afin d’anticiper l’augmentation de la consommation et d’assurer la disponibilité de la ressource. Spécialisés en hydraulique urbaine, nous modélisons les infrastructures pour évaluer leurs capacités face à la croissance démographique et aux aléas climatiques.
La protection et la valorisation des ressources en eau font également partie de nos missions, qu’il s’agisse d’identifier et d’aménager de nouvelles ressources souterraines et superficielles ou de mettre en place des installations de potabilisation adaptées aux contraintes environnementales et sanitaires actuelles. Enfin, nous réalisons des audits et optimisons les infrastructures existantes pour réduire les pertes en eau et améliorer le rendement des réseaux, contribuant ainsi à une gestion durable et performante de la ressource.
Y a-t-il des collaborations ou des partenariats essentiels dans vos activités ?
Laurent Busana, ingénieur associé-gérant et chef du service Eau potable : Nous collaborons étroitement avec les communes et les syndicats intercommunaux pour planifier, concevoir et moderniser les infrastructures d’alimentation en eau potable, afin de répondre aux besoins des territoires et de garantir un approvisionnement sûr, pérenne et conforme aux réglementations. Notre mission est de les accompagner, ainsi que les exploitants, avec des solutions durables et pertinentes face aux défis actuels et futurs.
Nous associons nos expertises à celles d’autres bureaux d’études. Cette approche collaborative assure des solutions solides, adaptées et évolutives.
Depuis combien de temps opérez-vous dans le domaine de l’eau potable ? Et quelles évolutions avez-vous constatées depuis vos débuts ?
PhC : Nous œuvrons tous deux dans le domaine de l’eau potable depuis le début de nos carrières, et pour ma part, depuis une quinzaine d’années au sein de ce bureau. Parmi les évolutions majeures que j’observe, la plus significative reste certainement la pression croissante sur les ressources en eau. Celle-ci est principalement due à l’exceptionnelle croissance démographique du Luxembourg (+2 % par an). Alors qu’au cours des années 90, ma mission principale en tant qu’ingénieur consistait en la modernisation et le renouvellement des infrastructures existantes, de nouveaux défis se présentent aujourd’hui : la demande en eau ne cesse d’augmenter, mais les ressources en eau souterraine atteignent peu à peu leurs limites, tandis que leur qualité se dégrade sous l’impact des activités humaines (récréatives, agricoles ou économiques) qui se multiplient sur notre territoire, nous contraignant désormais à traiter ces eaux. Pour satisfaire les besoins futurs, il devient donc nécessaire de se tourner vers les eaux de surface, qui nécessitent également des traitements coûteux.
De plus, l’impact du changement climatique sur la disponibilité des ressources en eau se fait de plus en plus sentir, notamment à travers la baisse des niveaux des nappes phréatiques et la variabilité des précipitations, et donc des flux de ressources.
LB : Le domaine de l’eau potable évolue également sous l’effet du renforcement des exigences réglementaires européennes et nationales. Par exemple, la directive européenne sur l’eau potable et le règlement sur la protection des ressources imposent la mise en place de systèmes de surveillance et de traitement, une obligation qui n’existait pas lorsque j’ai commencé ma carrière en 2009.
À l’époque, de nombreuses communes n’employaient pas d’ingénieurs spécialisés ; tant que l’eau coulait du robinet, les habitants étaient satisfaits et les élus ne ressentaient pas la nécessité d’investir dans les infrastructures. Cependant, avec l’introduction du dossier technique en 2003, les opérateurs ont été contraints d’analyser l’état de leur réseau. Les résultats ont révélé que la plupart des infrastructures étaient vieillissantes et non conformes. À l’époque, aucune norme spécifique n’existait encore au Luxembourg – c’était celle de l’Allemagne qui était appliquée. Face à cette situation, le ministère a exercé une pression pour moderniser et renouveler les infrastructures, conformément à la directive européenne. Un label a même été créé pour encourager les décideurs politiques à investir davantage, tant pour rénover ou reconstruire des réservoirs vétustes que des stations de pompage.
Parallèlement, des études ont été lancées concernant les zones de protection des sources d’eau. Aujourd’hui, l’accent est mis sur les programmes de mesure dans ces zones, la recherche de nouvelles ressources et l’adaptation des infrastructures aux besoins d’une population en croissance, avec la construction de nouveaux réservoirs et conduites.
Dans quelle mesure les avancées technologiques influencent-elles votre travail ?
LB : Les technologies numériques facilitent une gestion plus précise et proactive de l’eau potable. Nous avons intégré plusieurs innovations, telles que des capteurs intelligents qui permettent de surveiller en temps réel la qualité et la pression de l’eau dans les réseaux. Nous misons sur une gestion intelligente de l’eau grâce à la modélisation et aux systèmes de télégestion, qui nous permettent d’anticiper la demande quotidienne. Par ailleurs, nous concevons des stations de traitement de nouvelle génération, intégrant des procédés tels que l’ultrafiltration, l’osmose inverse et le traitement UV.
Quels sont aujourd’hui les grands défis liés à l’approvisionnement en eau potable au Luxembourg ?
LB : L’un des défis majeurs des prochaines années consiste à optimiser l’empreinte carbone de l’eau potable. Près de la moitié de l’eau potable consommée au Luxembourg provient du barrage d’Esch-sur-Sûre, via le SEBES (syndicat des eaux du barrage d’Esch-sur-Sûre). Elle y est stockée dans un réservoir à 515 mètres d’altitude, permettant une distribution gravitaire à travers tout le pays. Cependant, dans certaines zones, comme dans la région Est, la dénivellation peut générer jusqu’à 30 bars de pression. Cette pression naturelle constitue une ressource que nous cherchons à exploiter, notamment pour la production d’énergie.
Autre enjeu important : la qualité de l’eau. Par le passé, la présence de pesticides dans l’eau potable passait inaperçue, faute de mesures appropriées. Aujourd’hui, des zones de protection spécifiques sont définies et, lorsque ces mesures s’avèrent insuffisantes, nous recourons à des stations de traitement. Nous venons d’ailleurs de mettre en service notre première station de traitement de l’eau par osmose inverse, opérationnelle depuis quelques semaines. À l’avenir, d’autres stations utilisant des technologies telles que le charbon actif ou la filtration membranaire devront être construites pour garantir une eau conforme aux normes sanitaires.
PhC : Le problème réside dans le fait que lorsque la pollution affecte les eaux souterraines, leur dépollution est un processus extrêmement long, pouvant s’étendre sur plusieurs décennies. Certaines substances, comme les pesticides, mettent entre 10 et 30 ans à passer sous le seuil réglementaire, même après leur interdiction. Par conséquent, le traitement des eaux devient une nécessité de plus en plus pressante.
Il est important de noter que le coût du traitement de l’eau est quatre fois plus élevé que celui de sa protection en amont. Mettre en place des mesures préventives dans les zones de captage, telles que limiter certaines pratiques agricoles ou encourager financièrement les agriculteurs à adopter des pratiques plus respectueuses, revient donc bien moins cher que de traiter l’eau une fois contaminée. Il est donc crucial d’agir avant que la pollution ne survienne. C’est dans cette optique que la loi de 2007 a été instaurée, imposant la délimitation de zones de protection des eaux et des bassins d’alimentation. Bien que ses effets ne soient visibles que dans 10 ou 15 ans, elle devrait permettre, à terme, de réduire les besoins en traitement de l’eau.
Enfin, la surveillance de la qualité de l’eau a considérablement évolué. Il y a 15 ans, les capteurs étaient rares dans les réservoirs et stations de traitement. Aujourd’hui, la surveillance en ligne est beaucoup plus développée, et des paramètres tels que la température ou la conductivité de l’eau sont mesurés en continu pour détecter la présence de polluants. Des alarmes avertissent automatiquement les techniciens en cas d’anomalie. Un autre signe de cette évolution est la part de l’équipement électromécanique dans le coût total des projets, qui a plus que doublé, passant d’environ 10 % à 25 % aujourd’hui.
Pourriez-vous partager quelques exemples de projets récents ou en cours qui illustrent votre travail ?
PhC : L’un des projets majeurs réalisés récemment au Luxembourg est la construction de la première station de traitement par osmose inverse, un procédé de filtration membranaire très fine capable de retenir les pesticides et herbicides, ne laissant passer que les molécules d’eau potable. L’efficacité énergétique est un enjeu clé dans ce type de projets, car plus la filtration est fine, plus elle nécessite de l’énergie, ce qui impacte les coûts d’exploitation.
Outre cette station, de nombreux réservoirs de stockage ont été construits, ainsi que des stations de traitement pour la déferrisation de certaines eaux souterraines, qui peuvent contenir naturellement trop de sulfates, de fer ou de calcaire.
L’innovation joue un rôle central dans ces projets. Notre bureau a été pionnier dans la modélisation 3D des infrastructures hydrauliques, permettant aux communes de visualiser les installations avant leur construction, d’anticiper d’éventuels conflits techniques et de faciliter l’exploitation et la maintenance des équipements.
Enfin, l’intelligence artificielle commence à être intégrée dans la gestion des ressources en eau, par exemple pour anticiper les besoins quotidiens des réservoirs et lisser les demandes sur 24 heures, limitant ainsi les pics de consommation qui nécessiteraient des conduites de plus grande capacité. Cette approche permet d’optimiser l’infrastructure existante et de repousser le besoin d’investissements coûteux dans de nouvelles conduites.
Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #69 - mars 2025