Décarbonation de la construction : enjeux
Affluence record avec une centaine d’inscrits pour cette 10e édition de Meet&Build, organisée le 16 avril à l’IFSB, en collaboration avec Picto Communication Partner.
La thématique abordée était la réduction de l’empreinte carbone de la construction qui, étant responsable de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, est un secteur crucial pour atteindre les objectifs climatiques nationaux et internationaux de neutralité à l’horizon 2050.
Paul Schosseler, président du CNCD et chargé de la direction Sustainable Construction and Circular Economy au ministère de l’Économie, a posé le contexte : le secteur se voit contraint d’agir par différentes directives européennes - dont celles sur l’efficacité énergétique et sur la performance énergétique des bâtiments - et, bientôt, par la taxonomie.
Même s’il dispose déjà d’outils pour le faire avec la certification LENOZ, les lois sur le climat, sur l’utilisation rationnelle de l’énergie et sur les déchets, cette transition doit encore être structurée et accompagnée. C’est pourquoi le CNCD a été chargé de déployer une feuille de route construction bas carbone impliquant l’ensemble des acteurs publics et privés de la chaîne de valeur. Elle prévoit notamment d’établir une base de données des matériaux et une méthodologie de calcul de l’empreinte carbone des bâtiments prenant en compte l’entièreté de leur cycle de vie, propres au Luxembourg.
Paul Schosseler (à gauche) et Bruno Renders (à droite)
Selon Bruno Renders, administrateur-directeur général au CDEC et vice-président du CNCD, il n’y a pas une solution unique pour décarboner la construction, mais une multitude de pistes complémentaires. Certaines existent déjà et sont en partie mises en œuvre. C’est le cas de l’industrialisation des process et de la préfabrication de certains éléments qui permettent de réduire à la fois les déchets et les transports, mais aussi de la création de bâtiments hybrides qui combinent matériaux traditionnels et matériaux décarbonés, biosourcés, recyclés ou de réemploi, en utilisant chaque matériau à bon escient.
La construction additive – c’est-à-dire l’extension en hauteur des bâtiments – ou la conception de bâtiments et infrastructures prévus pour être partagés (par exemple, utilisés par une entreprise en journée et par la commune en soirée), réversibles et évolutifs (des bureaux qui peuvent être transformés en appartements) constituent d’autres possibilités, tout comme le fait de leur adjoindre des fonctions nobles de production énergétique ou alimentaire, d’épuration de l’air, de gestion des eaux de pluie grâce, par exemple, au BIPV (photovoltaïque intégré au bâti), à des serres urbaines, à des toitures vertes ou à des microalgues en façades… Le principe des 4R - Rethink, Reduce, Reuse, Recycle – doit être le fil conducteur de toute démarche de décarbonation. Le « climatoptimiste » qu’est Bruno Renders voit dans les critères ESG, la CSRD et la taxonomie des opportunités.
Tessa Marseille et Sabine Di Vito, toutes deux project engineers chez SECO Expert, sont ensuite revenues en détail sur les méthodologies d’analyse de cycle de vie des bâtiments (ACV), la plus aboutie étant celle qui prend en compte le carbone incorporé, c’est-à-dire le CO2 émis depuis la production des matériaux de construction jusqu’à la fin de vie du bâtiment, et le potentiel de réchauffement global (PRG) étant un paramètre clé.
L’ACV commence par l’établissement d’un inventaire recensant les quantités des différents matériaux utilisés dans un bâtiment et les facteurs d’émissions qui leur sont associés. Ce travail s’effectue en se basant sur les déclarations environnementales de produits (EPD) qui reprennent plusieurs indicateurs dont le PRG. Il n’existe pas encore de base de données luxembourgeoise, on utilise donc celles des pays voisins.
Il s’agit de décliner plusieurs variantes d’un bâtiment donné, selon un objectif préalablement fixé. Divers leviers peuvent être actionnés pour réduire l’empreinte carbone d’un bâtiment : jouer sur la compacité et le vitrage, utiliser des matériaux de réemploi ou recyclés, miser sur la frugalité, par exemple en laissant des structures et techniques apparentes pour économiser les matériaux de finition sans valeur ajoutée, questionner le besoin du parking, rallonger la durée de vie du bâtiment, etc. La plus grande marge de manœuvre se trouve au niveau de la superstructure, le béton le plus courant (de type CEM I) étant 5 fois plus impactant qu’un bois local issu de forêts gérées durablement.
« Entre atténuer le changement climatique et s’adapter, être résilient, face au changement climatique, il y a un équilibre à trouver », ont conclu les deux ingénieures.
Sabine Di Vito (à gauche), Tessa Marseille (au milieu) et Guillaume Karmann (à droite)
Enfin, Guillaume Karmann, Project Manager à l’IFSB, a démontré la nécessité d’adopter une vision holistique lorsqu’on aborde la décarbonation, dont la base est la sobriété.
Nous sommes face à une crise planétaire triple où changement climatique, appauvrissement de la biodiversité et pollution et déchets sont interreliés. Utiliser moins de ressources nous inscrit de facto dans un cercle vertueux. Il s’agit donc de construire moins, plus intelligemment et de manière plus efficiente, de concevoir en fonction de l’usage réel et des limites réglementaires et d’éviter ainsi le surdimensionnement, de quantifier et comparer différents systèmes structurels, de trouver un équilibre entre impact global et local, d’opter pour une approche circulaire en dessinant les bâtiments de sorte à ce qu’ils puissent être déconstruits et en considérant le produit comme un service, ou encore de privilégier les matériaux dont une quantité moindre est nécessaire pour des performances égales et qui sont fabriqués à partir de matières premières moins carbonées et d’énergies renouvelables.
Il a, pour finir, insisté sur le rôle clé joué par la formation pour mettre à jour les compétences nécessaires à la conception et à la mise en œuvre de bâtiments décarbonés.
Mélanie Trélat
Reportage Meet&Build #10
Extrait de Neomag#63