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Transition vers une construction bas carbone

Transition vers une construction bas carbone

Le CNCD offre un cadre propice à la collaboration entre tous les acteurs de la chaîne de valeur de la construction, qu’ils soient publics ou privés, pour élaborer les méthodes qui permettront au secteur de faire face aux enjeux et mutations actuels et de contribuer à atteindre les objectifs de décarbonation fixés par l’UE.

Interview de Paul Schosseler et Bruno Renders, qui président conjointement le CNCD

Pourriez-vous nous rappeler le cadre réglementaire ?

Paul Schosseler : Dans l’accord de Paris, l’Union européenne s’est engagée à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour y parvenir, elle a lancé le Green Deal qui repositionne l’économie dans sa globalité, avec des exigences propres à chaque secteur déclinées dans le Plan National Énergie Climat (PNEC). La directive sur la performance énergétique des bâtiments a, par ailleurs, été l’objet d’une refonte, votée le 12 mars par le Parlement. Une évolution importante est que l’objectif visé passe de « nearly zero energy buildings » à « nearly zero emissions buildings », sans émissions carbone en provenance d’énergies fossiles sur site. Une autre évolution cruciale est que le certificat de performance énergétique du bâtiment prendra désormais en compte le carbone émis non seulement lors de l’utilisation du bâtiment, mais sur l’ensemble de son cycle de vie, depuis la fabrication des matériaux jusqu’à leur revalorisation ultérieure. Pour mettre ces exigences en œuvre, les délais sont serrés puisqu’ils sont fixés à 2028 pour le calcul du potentiel de réchauffement planétaire (PRP) sur tout le cycle de vie du bâtiment pour les bâtiments avec une surface utile supérieure à 1 000 m2, et à 2030 pour tous les bâtiments !

Quel rôle le CNCD joue-t-il dans ce contexte ?

PS : Nous voulons élaborer une méthodologie luxembourgeoise permettant de calculer l’empreinte carbone globale des bâtiments sur tout leur cycle de vie, qui soit adaptée au contexte luxembourgeois tout en profitant au maximum d’expériences faites dans nos pays voisins. C’est pourquoi nous avons défini une feuille de route construction bas carbone, portée par le ministère de l’Économie et présentée en juin 2023. En tant que think tank public-private, le CNCD est un cadre idéal pour discuter ensemble des méthodes à mettre en œuvre puisqu’il regroupe tous les acteurs de la chaîne de valeur à commencer par, du côté privé, les fabricants de matériaux (Groupement des Fabricants de Matériaux de Construction), les industriels (FEDIL), les concepteurs (OAI), les constructeurs (CDEC), les artisans (Fédération des Artisans et Chambre des Métiers), et les promoteurs (LuxReal) auxquels se joignent, du côté public, quatre ministères : Économie (avec les directions générales Énergie et Industrie, nouvelles technologies et recherche), Logement, Environnement et Travaux publics.

Après la conférence nationale de lancement de la feuille de route en septembre 2023, quelles ont été et seront les étapes suivantes ?

PS : Nous organisons des séminaires pour approfondir certaines thématiques. Deux séminaires ont déjà eu lieu. Le premier, organisé par le ministère de l’Économie en novembre, a permis de présenter les différents outils réglementaires à notre disposition et de définir la direction à prendre. Le deuxième, porté par la FEDIL en mars 2024, avait pour thème les déclarations environnementales de produits (DEP). Un prochain séminaire, prévu en collaboration avec l’OAI, portera sur la conception. Et en automne, CDEC proposera une session sur l’empreinte carbone des entreprises de construction et de la phase chantier.

De quoi parle-t-on quand on parle de méthodologies ?

PS : Il s’agit de réaliser une analyse du cycle de vie (ACV) des bâtiments avec un focus sur le carbone, mais en intégrant aussi d’autres paramètres comme la biodiversité ou l’eau. Pour ce faire, nous avons besoin d’un relevé des matériaux mis en œuvre avec, pour chacun d’eux, leur quantité et leur empreinte carbone. Or, il faut avant toute chose harmoniser les bilans carbone des matériaux utilisés au Luxembourg car nous importons des matériaux de différents pays où la méthode de calcul diffère, même si elle est basée sur la même norme. Nous devons adopter une vue holistique qui prend en considération non seulement les émissions nationales, mais celles de toute la chaîne de valeur. Trouver les mécanismes qui aideront le secteur à développer ces outils très importants que sont les DEP est primordial, parce qu’ils seront demandés à l’avenir pour calculer l’empreinte carbone des bâtiments et se positionner sur les marchés extérieurs. Ces données nous permettront également de définir des objectifs clairs et de déterminer les trajectoires et les leviers pour les atteindre.

Quelles sont les pistes à explorer pour décarboner le secteur ?

Bruno Renders : Il faut suivre le principe des 4 R - Rethink, Reduce, Reuse, Recycle. « Rethink », c’est concevoir les bâtiments différemment, privilégier la sobriété et alléger les structures avec des matériaux moins carbonés et plus performants, combiner les matériaux traditionnels - dont il est irréaliste de croire qu’on pourra se passer - avec des matériaux biosourcés, imaginer des bâtiments adaptables, modulables, multifonctionnels pour maximiser leur durée de vie, intégrer de nouveaux modèles d’exploitation basés sur une vision d’économie du partage. « Reduce » est lié à la notion de sobriété, qui est primordiale, et à celle de réutilisation ; mais pour pouvoir réutiliser, il faut mieux construire, et pour pouvoir mieux construire, il faut mieux fabriquer et pour mieux fabriquer, il faut mieux designer. Enfin, il faut recycler ce qui n’est ni réductible ni réutilisable.

La rénovation est aussi un levier important pour augmenter l’offre de bâtiments tout en émettant moins de carbone…

PS : La moitié des bâtiments de 2050 – date à laquelle nous devons atteindre la neutralité carbone - existent déjà aujourd’hui, et leur construction, les matériaux utilisés, ont émis du CO2. Ça n’aurait donc pas de sens de les démolir tous pour les remplacer par des bâtiments à émissions zéro, ni du point de vue de l’impact carbone et des ressources disponibles, ni du point de vue fonctionnel ou patrimonial. Le Luxembourg prévoit une politique de rénovation ambitieuse. Or, les produits et matériaux utilisés pour la rénovation ont également un poids carbone. Il importe d’adopter également une vue holistique de réduction des émissions sur tout le cycle de vie lors de la rénovation de bâtiments. Ensuite, il faut trouver les bonnes approches pour la mise en œuvre car de nombreux freins subsistent : coordination des corps de métier, bâtiment qui est en chantier pour une période prolongée, etc. Des projets pilotes et aides spécifiques sont prévus pour éliminer ces freins.
BR : La rénovation doit s’entendre comme un processus intégré qui permet de rénover l’existant en améliorant son efficacité énergétique et carbone autant que le confort. La rénovation couvre aussi d’autres éléments comme l’extension verticale et horizontale des bâtiments existants, la refonctionnalisation - bureaux vers logements , par exemple -, ou la réversibilité de bâtiments. On pourrait envisager notamment d’ajouter un étage ou deux aux bâtiments existants avec des structures légères, en bois ou autre, ou d’y intégrer des fonctions nobles de production d’énergie ou d’agriculture urbaine, mais il faut que la réglementation nous le permette et que cela s’intègre dans une approche urbanistique holistique.

Quelle est l’incidence de la taxonomie ?

BR : Les décisions sont également influencées par le secteur financier, qui impose des critères ESG aux grands projets. Les maîtres d’ouvrage sont ainsi incités à privilégier des constructions moins carbonées et plus respectueuses de l’environnement. Cette évaluation des entreprises et organisations devrait permettre de promouvoir leur engagement environnemental et les efforts de décarbonation consentis pour proposer une évaluation qualitative durable de ces organisations plutôt qu’une simple évaluation financière classique.
La taxonomie européenne consiste à demander aux entreprises de rendre compte de leurs émissions, en les évaluant sur la qualité de leur mise en œuvre environnementale, ce qui est très intelligent car cela permet aux entreprises les plus responsables et les plus vertueuses de se mettre en avant, favorisant une concurrence plus équitable. Ce processus incite les entreprises à s’engager rapidement dans des pratiques plus durables pour rester compétitives.

Texte de Mélanie Trélat
Extrait du Neomag#62